Claudie Gallay prend de la hauteur
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« Une part de ciel » de Claudie Gallay
Actes Sud (Août 2013) – 446 pages
Claudie Gallay est née en 1961 à Bourgoin-Jallieu, dans le Dauphiné. Institutrice à temps partiel, elle se consacre à l’écriture depuis une quinzaine d’années. Plusieurs fois récompensée, elle a reçu le Grand Prix des Lectrices de Elle et le Prix Henri Queffélec, en 2009, pour l’excellent « Les Déferlantes », adapté depuis à la télévision. Son dernier roman « L’amour est une île », qui avait pour cadre le festival d’Avignon, m’avait moins conquise.
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Cette fois, nous sommes en Savoie, à trois semaines de Noël. Le train de Carole, la narratrice, arrive en gare de Val-des-Seuls, un petit bourg tranquille sur la route des pistes. Dernier arrêt avant Modane. Carole est enseignante à Saint-Etienne, où elle vit seule depuis que « le père des filles » l’a quittée.
Le Val-des-Seuls, c’est le village de son enfance, où une partie de sa famille est restée. Sa sœur Gaby y vit toujours avec la Môme, sa fille adoptive, dans un bungalow abritant péniblement leur précarité. Elle attend le retour de Ludo, son homme, un repris de justice. Philippe, le frère, est garde-forestier. Il rêve de reconstituer la voie empruntée par Hannibal et d’en faire un chemin de randonnée.
Au village, un projet de nouvelle piste échauffe les esprits des habitants. Certains y sont farouchement opposés, d’autres laissent faire. On en discute au bar à Francky, le seul café du coin où les ouvriers de la scierie se retrouvent, tout en lorgnant la jolie serveuse et en guettant la première chute de neige, qui ne saurait tarder.
Dans sa poche, Carole tient une boule de verre, livrée par le facteur. Philippe et Gaby ont reçu la même. L’expéditeur, c’est leur père, Curtil, qui leur annonce sa proche venue par ce moyen insolite. Il est absent depuis plus de trois ans. Viendra-t-il ou pas ? Curtil est si imprévisible, aussi loin qu’ils se souviennent.
L’histoire est relatée comme un journal, débuté le 3 décembre et refermé le 20 janvier. Nous suivons la narratrice dans son quotidien le plus intime et dénouons avec elle, jour après jour, l’écheveau emmêlé du passé familial.
La beauté de ce roman d’atmosphère réside dans la simplicité et la lucidité de l’écriture. Elle met en lumière, par contraste, la complexité psychologique des protagonistes et de leurs liens, douloureux mais indestructibles.
Le foisonnement de détails ne nous procure aucun ennui. La constante présence de la nature montagnarde et des animaux incarne notre part d’instinct, donne une force supplémentaire à l’histoire et de l’épaisseur aux personnages. La neige crisse sous leurs pas et les nôtres. Nous avons très froid ou trop chaud avec eux. Les obsessions de Carole sont comme cette fouine qui, chaque nuit, gratte sous son toit et l’empêche, nous empêche, de trouver le sommeil.
L’écriture de Claudie Gallay est très personnelle. Retenue, trébuchante, pudique, hypnotique. Dans « Une part de ciel », l’auteur a su la polir pour n’en garder que l’essence pure. Le résultat n’en est que plus abouti.
« Je me suis entendue dire cela. A ce moment-là. J’étais revenue à l’endroit d’où tout était parti. Il faut faire cela. Toujours. Revenir à l’endroit où l’erreur a été commise. Et repartir de cet endroit. Alors que tout a changé, autour, partout, et en nous. Recommencer. Ou tenter de le faire. J’étais calme. Dans le silence qui a suivi, j’ai reconnu tout ce que j’avais tu. »
« Une part de ciel » est un roman profond, émouvant, à la douce vibration. Une belle réussite de la part d’un auteur parvenu à sa pleine maturité littéraire.
Sylvie Coral