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Publié par Sylvie Coral

Quand la mère flotte

« Le dément voyage » de Laure Payen-Amaudry

« Tiens, tu liras ça et tu me diras ce que tu en penses », dit mon amie Cécile en me tendant un petit livre blanc et bleu. J’y jette un coup d’œil. Aucun logo d’éditeur sur la couverture. Encore une énième publication à compte d’auteur. Mais bon, 85 pages, ce n’est pas trop long pour se montrer polie. Je feuillette distraitement. Des reproductions de tableaux s’intercalent dans le texte. Mon regard s’arrête sur certaines. Pas mal, dis donc. « C’est d’elle, elle peint aussi », commente Cécile.

Quand la mère flotte

Sur la page de garde, quelques mots sont griffonnés au crayon de papier et illustrés de minuscules dessins. « D’une impasse, faire un chemin buissonnier »… c’est joliment dit, cela me parle et me fait sourire. Tout compte fait, je lirai.

Et me voilà embarquée dans ce dément voyage.

« Quand la mère flotte, le monde descend », c’est de cela qu’il s’agit. D’une mère qui dérive dans la démence sénile, de sa fille qui doit la placer dans un établissement spécialisé. La banalité glaçante de cette situation contredit l’intensité de ce qui se joue dans de tels moments. Il va falloir traduire l’indicible, tenter de faire passer l’incommunicable.

« Une mère malade de cette façon est l’événement qui ramène à l’avènement de soi. C’est un calendrier de l’avant. C’est une marche à reculons. Pourtant, vivre impose forcément que les jours s’égrènent dans un sens et pas dans l’autre. »

L’auteur livre cette histoire intime, solitaire, avec une élégance crue qui la rend universelle. Elle dépeint ces maisons qui n’en sont pas, destinées à accompagner le très grand âge jusqu’au bout, avec une poésie telle que le résultat est d’un réalisme absolu. Le regard est juste sans jugement.

« Ils (les vieux) ont besoin de déambuler, me dit-on. Alors déambulons. Ils sont assis, pissent sous eux. Et d’accourir deux membres du personnel pour veiller à la propreté. Ils ramènent le coupable, le rassoient à la même place, il prend son air hébété d’un pion sur une case. Au théâtre des indigents les rôles sont immobiles. »

La narratrice tente d’apprendre le nouveau langage de sa mère, « qui parle en actant et re-fabrique le monde dans chaque phrase, comme un phare haletant. Mots-matière animés, inédits, ce qui reste à dire, à sortir, comme les tout derniers désirs, les tout derniers secrets. »

Un tel sujet, si sombre, presque tabou, pourrait rebuter le lecteur. En quête perpétuelle de légèreté comme antidote aux contrariétés du quotidien, j’ai failli passer mon chemin. J’aurais eu tort. Ce livre, malgré sa gravité, est porteur d’une douce lumière, de splendides couleurs, et ce qu’il procure, contre toute attente, c’est de l’apaisement.

Sylvie Coral

Quand la mère flotte

Ecriture, peinture, photographie

Laure Payen-Amaudry explique qu’elle a écrit ce récit pour qu’il circule. Elle a puisé dans cet espoir l’énergie d’aller au bout de son entreprise.

Educatrice spécialisée, elle a participé à trois missions en ONG, en Asie du sud-est, (Thaïlande, Cambodge, Laos), dans les domaines de la santé publique et de l'éducation.

Titulaire d’un master de recherche en sociolinguistique, elle est actuellement formatrice dans les domaines du français pour les étrangers et de l'illettrisme.

Sur le net depuis 2009 pour rendre publics ses écrits et partager ses créations picturales, elle collabore depuis deux ans à un forum d'écriture (écrits personnels et collectifs) qui publie chaque année un recueil de textes nommé « Scribulations » (scribulations.over-blog.com). Chaque année, ce magazine est présent au Salon de la revue à Paris.

Je vous engage à visiter le blog de peintures et photographies de Laure Payen-Amaudry, qui sont de pures merveilles : La tortue légère.

Ainsi que son blog d'écriture, qu’elle qualifie de « vaste brouillon au quotidien » : Une chose et son contraire.

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C
un hommage justifié , Ô combien, au talent si vivant de Laure, que j'ai connue au départ, sur son blog , tombant par hasard sur un texte relatant une visite à sa maman , où elle jouait les fées dessineuses de mondes enchanteurs sur les vitres de la chambre dans une de ces maisons ... j’avais ressenti à cette lecture une grande émotion , et n'ai plus lâché depuis ,cette magicienne des mots ! <br /> &quot;Le dément voyage&quot; est aussi chez nous .
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B
Love More Worry Less<br /> Plus d’amour, moins d’inquiétude !<br /> <br /> http://www.deezer.com/track/71967114
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N
Bel article. Apaisement, c'est aussi le titre du livre de Charles Juliet dont il est question dans les parages.
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L
Merci de votre article si bien écrit qu'on espère vous lire aussi ailleurs...<br /> Circulez, circulons, qu'elle circule la vie, oui.
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