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Publié par Bernard Revel

Yves Rouquette en 1975. Derrière lui, l'oeil de Marie Rouanet.
Yves Rouquette en 1975. Derrière lui, l'oeil de Marie Rouanet.

Là-bas, en Rouergue, il est une vieille maison loin de tout où deux écrivains, un homme et une femme, travaillent en silence. Chacun dans sa pièce éclairée de livres, de revues et de photos, ajoute des mots aux mots sur des pages blanches. De temps en temps, ils se parlent d’un bureau à l’autre. Elle lui demande une précision sur une tournure en occitan. Il l’interroge sur un poème d’Emily Dickinson. Ainsi s’écoulent les années. Quand je pense à eux, c’est cette image qui me vient et me rassure. L’une des pièces est vide désormais. Yves est parti en ce premier dimanche de l’année, laissant Marie à sa peine, à ses souvenirs, aux pages qui restent à écrire. Et dans ses souvenirs, nous sommes nombreux à puiser aussi les nôtres, tant leurs actes, leurs écrits ont trouvé en nous des résonances. Yves Rouquette et Marie Rouanet. Ils furent d’abord, au début des années 70, deux grandes voix de l’Occitanie, lui embrasant les amphithéâtres, elle chantant les troubadours. C’était le temps de la contestation, de l’émancipation, de la lutte pour plus de liberté et pour que renaisse la langue occitane. Enseignants à Béziers, ils exhumèrent une histoire et une littérature oubliées, militèrent pour l’autonomie et donnèrent sous l’aile de Ventadorn son envol à la nouvelle chanson occitane. Mais Yves était avant tout un poète. A 20 ans, il écrivit une étude sur le Roussillonnais Josep-Sébastià Pons qui parut dans la collection « Poètes d’aujourd’hui » de Seghers. Puis suivirent des recueils dans cette langue occitane qui était pour lui celle de la poésie et quelques livres percutants en français tels que « Cathares » et « Le fils du père ».

Yves Rouquette en 2012 aux Vendanges littéraires de Rivesaltes, en compagnie de Gérard Salgas.
Yves Rouquette en 2012 aux Vendanges littéraires de Rivesaltes, en compagnie de Gérard Salgas.

Après l’époque agitée des luttes, tandis que sa femme Marie inaugurait avec « Nous les filles » une carrière littéraire jalonnée de succès, il poursuivit délibérément son œuvre poétique confidentielle en occitan tout en devenant, par ses chroniques qui portaient un regard lucide et ironique sur l’actualité, une des grandes plumes de La Dépêche du Midi. Empreint d’un humanisme chrétien très personnel et le plus éloigné possible des dogmes, Yves Rouquette combattait par l’écriture, avec la même conviction qu’il mettait jadis dans ses diatribes, le sectarisme, l’intolérance, l’exclusion, tous ces maux d’aujourd’hui qui divisent et qui tuent. Il se proclamait de tous les pays, de toutes les cultures pourvu qu’elles soient non violentes et respectent la personne humaine. C’est pour cela aussi que je l’aimais.

Wolinski, Cavanna et Cabu
Wolinski, Cavanna et Cabu

S’il fallait que je désigne mes maîtres en journalisme, je nommerais sans hésiter Yves Rouquette et François Cavanna, mort en février 2014. Je suis loin, certes, de les valoir. Mais j’ai souvent écrit en pensant à eux, comme s’ils étaient mes premiers lecteurs et que je devais leur donner ce qu’il y a de meilleur en moi. Le poète occitan et le père de Charlie Hebdo ont toujours fait partie de ma famille d’idées et de coeur. Je n’y ai pas pensé dans l’émotion provoquée par la nouvelle de l’attentat. Et puis soudain, cela m’a frappé. C’est au moment même où avaient lieu dans l’église de Camarès mercredi 7 janvier les obsèques d’Yves Rouquette que deux fous de Dieu ont massacré douze personnes au siège de Charlie Hebdo, parmi lesquelles Cabu et Wolinski, les proches compagnons de Cavanna. Je n’ai aucune conclusion à tirer de cette coïncidence. Simplement, elle accentue la tristesse de perdre en même temps, dans des circonstances certes très différentes, une mort banale d’un côté, un événement mondial de l’autre, un peu de ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine. Dans une de ses chroniques de La Dépêche du Midi intitulée « La violence toujours», Yves Rouquette s’interrogeait à propos des cités dites « sensibles » : « Faut-il donc être violent à mort pour qu’on vous regarde, qu’on vous entende, qu’on vous fasse justice ? » Il concluait par ces mots : « Des réponses à la violence, je n’en sais que deux : la conversion de toute la société aux idéaux de Socrate, Jésus, Gandhi ; le paquet mis par les politiques pour inventer, là où ça craint le plus, une vie de quartier en s’appuyant sur des éducateurs de conviction, de formation et généreux. »

Rouquette, Charlie...

Ce point de vue qui n’est pas celui de la répression ou du « kärcher contre la racaille », il a toujours été aussi celui de Charlie-Hebdo, grand pourfendeur de tous les intégrismes religieux, des violences d’Etat et des extrémismes. Beaucoup de ceux qui, ces jours-ci, proclament « Je suis Charlie », devraient réfléchir aux valeurs que défend le journal de Cavanna. Leurs prises de position, leurs coups de colère, leur comportement passé laissent penser qu’ils ne resteront Charlie que le temps d’une émotion. Les vrais Charlie représentent une pensée libertaire et non-violente très minoritaire. L’islamisme est loin d’être leur seul adversaire même si aujourd’hui c’est certainement le pire. Quels dessins auraient inspiré à Cabu, à Charb, à Wolinski ce déferlement de « Je suis Charlie » de tous bords ? Quelle chronique en aurait fait Yves Rouquette ? Ils se sont tus à jamais. D’autres apporteront leurs réponses. Car même si on tue les meilleurs des hommes, on n’empêche pas que renaisse l’intelligence.

Bernard Revel

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M
ta plume est toujours aussi legere merçi pour ce bel homage
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