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Publié par Marie Bardet

Photo Jernec Prelac
Photo Jernec Prelac

« Le Livre des séjours et des lieux » par Mathias Rambaud

Prix Coup de foudre 2015 des Vendanges littéraires

Editions Arléa, 112 pages.

Mathias Rambaud est attaché culturel à Ljubljana, en Slovénie.

C’est lors d’une innocente baignade dans la baie de Trieste, en mer Adriatique, alors qu’il savoure avec sa compagne Zéla un moment de bonheur parfait, que Mathias Rambaud est victime de ce qu’il nomme « une bouffée délirante ». Tandis qu’il goûte aux délices de la nage, il est soudain rappelé, au contact de l’eau, à l’addiction qu’il a contractée très tôt pour la mer de son enfance, la Méditerranée. Son « délire » le renvoie à un rivage qu’il a quitté sans regret à l’âge où l’on entreprend de construire sa vie. Pour le narrateur qui a grandi entre Rivesaltes, Narbonne et Montpellier, le littoral a longtemps été languedocien.

Mais l’appel de l’ailleurs a été le plus fort, et après un exil raté au Canada c’est finalement la Slovénie, patrie de la femme aimée, qui est devenue sa terre d’élection. Heureux dans ce «pays de sapinaies et d’eau glaciale » où tournoient les corneilles, le narrateur se croyait à l’abri de la nostalgie. Or voilà que l’étreinte de la mer lui communique le besoin impérieux de renouer avec ses origines.

Le souffle entêtant de la nostalgie

Le premier roman de Mathias Rambaud est le récit d’une «abdication », l’aveu touchant d’un homme brusquement « rappelé à la haute soumission du natal et de l’enfance » à un détour de sa vie.

Pour évoquer le mal du pays, Mathias Rambaud, qui est attaché culturel en Slovénie où il enseigne le Français, a choisi de mêler le genre de l’essai à celui du récit autobiographique, et il le fait dans une langue un brin précieuse, sous l’égide d’un titre qui ne déparerait pas dans « La Recherche du temps perdu ». Profondément épris de littérature, l’auteur a voulu rendre hommage aux grands auteurs français, dont Marcel Proust, et il assume cette ambition avec un naturel désarmant. Car si la langue est belle, elle est aussi le reflet d’un esprit libre. En quelques lignes magnifiques de sincérité, l’auteur révèle ne cultiver « les vices et les vertus de l’essayiste qu’à des fins intimes et élégiaques », confesse « une tendresse prononcée pour les doctrines obsolètes et tombées en disgrâce » et s’estime « sous la coupe de fortes dispositions superstitieuses, voire enclin à la pensée magique ». Ce que tout intellectuel jaloux de son image n’avouerait pas même sous la torture, Mathias Rambaud l’énonce paisiblement entre fines parenthèses. Est-ce de son enfance auprès d’un père qui enchaînait les petits boulots qu’il tient sa modestie ? Est-ce de sa mère qui, chaque nuit, allait au devant de ceux qui mourraient bientôt d’une overdose ou du sida pour soulager leur douleur, qu’il tient sa sensibilité à fleur de peau ?

Sous sa plume si singulière, les natifs du Languedoc et ses affidés seront émus, troublés, interloqués tour à tour par la vision que donne l’auteur des paysages de cette région. Parce qu’on est dans la nostalgie, rien n’est simple, et la beauté est équivoque. La terre dépeuplée et aride des Corbières prend le visage d’un chien solitaire apparu soudain au sortir d’une vigne ou en bordure de garrigue. On y voit un animal désorienté déployer une énergie et un zèle considérables à trotter résolument dans une direction quelconque, dans l’espoir que sa course éperdue le mènera quelque part. Sa solitude apparaissait à l’auteur « sous une forme radicale, si triste », qu’il ne pouvait le voir « sans penser qu’il n’appartenait à personne et qu’il avait même cessé d’appartenir à quelque monde que ce fût »… Ainsi les lieux et séjours de son enfance et de son adolescence — les étangs et lagunes, les plages, mais aussi les villes qui l’ont vu grandir, où il étudia — passent de l’obscur de la mémoire à la clairvoyance de l’adulte accompli, par le geste de l’écriture. Comme l’enfant aime à éteindre lui-même la lumière pour s’assurer qu’il est en son pouvoir de la faire revenir dans sa chambre qu’est en train d’envahir la nuit.

Il émane de cet inclassable « Livre des séjours et des lieux », qui est autant une méditation philosophique sur la nostalgie qu’un recueil de souvenirs d’enfance et une ode à la Mer, un souffle délectable.

Marie Bardet

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D
Bel article qui donne envie de lire le livre. Merci Marie.
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