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Publié par Bernard Revel

« C’est toujours dans le pays où pousse la vigne et où se récolte le vin que se développent, plus rapidement et plus magnifiquement, la civilisation et tous les arts qui en découlent, y compris ceux de la table ». Les énarques qui nous gouvernent devraient méditer cette affirmation lancée jadis par le prestigieux cuisinier Prosper Montagné (1865-1948) qui fit le régal des gourmets des Années folles. Enfant de Carcassonne, Prosper Montagné a donné ses lettres de noblesse à une cuisine qu’a célébrée à sa suite Joseph Delteil et que perpétuent depuis, en la réinventant, nombre de chefs étoilés.

Le mot festin est le plus juste pour désigner cette table dont les produits viennent des profondeurs de l’histoire. Elle profita, certes, des charcuteries apportées par les Gaulois, de l’olivier et de la vigne introduits par les Grecs et les Romains. Mais depuis longtemps déjà, on récoltait dans les pays languedociens, l’ail, l’oignon, la fève blanche, l’asperge, le raifort et le miel. Avec les Croisés arrivèrent les épices. Chaque invasion laissa dans la région des spécialités culinaires. « Entre deux batailles et entre deux souffrances », raconte Prosper Montagné dans « Le Festin occitan » (réédité par l’Atelier du Gué), l’Occitanie s’est toujours efforcée de bien se tenir à table ».

Et tout cela a fait une cuisine dont l’accent, le « dieu », est une plante aromatique venue d’Orient : l’ail. Cet ail qui, selon le félibre Auguste Fourès, « a fait la langue d’oc si énergique et si vibrante ». Cet ail dont la « souveraineté s’affirme » dans l’ailloli bien sûr, mais aussi dans ce « poème gourmand » qu’est la pistache de mouton, ou dans l’aillade chère aux vignerons d’autrefois (tranche de pain bis grillée, fortement frottée d’ail et assaisonnée de sel et force poivre). Une cuisine qui a bien d’autres parfums. « Agreste, médiévale parfois, elle évoque cassouletteries, fricassées et vignobles. Elle sent l’huile d’olive du côté de la mer et le saindoux dans l’arrière-pays », écrit André Bonnaure sans son introduction à « La cuisine rustique » (Robert Morel, 1971).

Bien sûr, une place de choix doit être attribuée au cassoulet, cette « locomotive » de la cuisine audoise. Selon la légende, ce plat a vu le jour à Castelnaudary lors d’un siège de la guerre de Cent Ans. Les vivres peu à peu s’épuisaient. Il fut demandé à la population de grouper toutes les victuailles qu’elle possédait encore. On réunit alors des haricots, des longes de porc, du saucisson et toutes sortes de saucisses sèches. Dans une énorme « cassole » faite avec de la terre d’Issel, village du Lauragais, on versa et fit cuire le tout : le cassoulet était né. Il fut tout de suite apprécié et, si sa recette a subi quelques modifications, le cassoulet d’aujourd’hui est resté très proche de ce plat qu’il y a six siècles les habitants de Castelnaudary découvrirent par hasard. Leurs descendants défendent farouchement cette origine et une confrérie du cassoulet veille au bon respect de la recette.

Mais, comme le soutient fort à propos Prosper Montagné, « il existe trois modes d’apprêt de ce plat magnifique » : à Castelnaudary, les bases du cassoulet sont le porc frais, le jambon, le jarret de porc, le saucisson et les couennes ; à Carcassonne, on ajoute à ces ingrédients le gigot de mouton raccourci et, à la saison, les perdrix ; à Toulouse enfin, aux éléments du cassoulet chaurien sont adjoints le lard de poitrine, la saucisse de Toulouse, le mouton (collet ou poitrine désossé) et le confit d’oie ou de canard.

Au fond, pour reprendre l’expression de Prosper Montagné, « des recettes pour préparer le cassoulet, il en est des tas ». Revendiquer un cassoulet véritable au détriment des autres relève finalement de la querelle de clocher. Seuls les gourmets tranchent. Et dans ce cas précis, il y en a pour tous les goûts.

Fin connaisseur, Prosper Montagné n’était guidé que par les sensations de son palais. Elles lui permettaient de déguster avec les mêmes délices, un salmis de bécasses à la languedocienne ou « quelques bonnes choses » comme le « fetge » (le foie sec), le « melsat » (sorte de boudin blanc de la Montagne Noire), l’omelette du lundi de Pâques (avec de la « cansalade ») et, au dessert, les gâteaux carcassonnais de son temps (le « Rauzel », le « Feuilleté » ou « Les Autrichiens »). Ils sont aujourd’hui introuvables.

Avec Joseph Delteil, la cuisine audoise est entrée en littérature. Elle est partout présente dans cette « Cuisine paléolithique » (éditions Robert Morel) écrite avec tant de bonheur par l’auteur de « Jeanne d’Arc ». Joseph Delteil y livre quatorze recettes pour une semaine : c’est sa cuisine brute, naturelle, celle de son enfance à Pieusse où il n’a connu que trois plats : la soupe, la fricassée et le rôti.

Son conseil : « Fais venir ton bœuf de la préhistoire, tes oies du ciel, tue-toi ton porc, c’est le fondement ! Les légumes de ton jardin, les fruits à peau (je scandalise parfois mes amis, en mangeant à belles dents la pêche à même l’arbre, comme un ours). Avec ma chèvre et deux poules, voilà la Sainte-Trinité ! »

« Que voulez-vous, écrivait avec lyrisme le cuisinier André Bonnaure dans la revue Terre d’Aude en 1977, il y a des cuisines diététiques, scientifiques pesées et mesurées. Il y a des cuisines de haute lignée, racées, élégantes, anthologiques, classiques. Il y a notre cuisine d’Aude, logique, instinctive, naïve, terrienne et céleste. Aucune pollupromotion et autre putasserie commerciale E220, E123, E471 n’y changeront rien. Tant mieux ! »

Bernard Revel

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