La lecture en héritage
« 1144 livres » de Jean Berthier
Editions Robert Laffont (Collection Les Passe-murailles) – décembre 2017 – 167 pages - 12€.
Jean Berthier a obtenu pour ce roman le prix Coup de foudre 2018 des Vendanges littéraires. Il sera à Rivesaltes le 6 octobre.

Voulant m’abriter de l’impitoyable morsure de l’hiver, je me réfugie dans le ventre chaud de la librairie de la gare de Lyon. Tout en soufflant sur mes doigts pour les réchauffer, je laisse glisser mon regard sur les couvertures colorées, les titres accrocheurs, les noms d’écrivains familiers. Mais, bizarrement, ma main se pose sur un ouvrage sobre, dont l’auteur m’est totalement inconnu et dont le titre, à la connotation comptable, me semble dépourvu de sens.

Convaincue par ces trois bonnes raisons, je décide qu’il inspirera mon long voyage en train.
Le narrateur, bibliothécaire de profession, est né sous X. Adopté tout bébé par un couple aimant de quincaillers, il s’est construit une vie agréable et tranquille entre son épouse, sa fille et ses livres. Mais un jour lui parvient une lettre d’un notaire, lui annonçant avoir recueilli le testament d’une femme âgée, sa mère biologique. Elle lui a désigné l’héritier auquel elle lègue 1144 livres rassemblés dans 38 colis. Ce notaire, plus ange céleste qu’officier ministériel, lui dit son souci de remplir « la mission qui m’a été confiée et dont le caractère juridique n’est jamais que l’enveloppe la plus visible. Elle renferme une histoire qui est la vôtre, qui vous appartient, mais qui est aussi celle d’une femme, votre mère. »
Pour le narrateur, cet héritage laissé par une inconnue l’ayant abandonné à la naissance est un véritable pavé dans la mare. Il décide de tout refuser. Puis, très vite, le doute, le questionnement s’en mêlent, le menant à tâtons au fond d’un puits de réflexion, balloté par des émotions contradictoires. Qui était cette mère ? Quel sens a-t-elle voulu donner à son geste ? Accepter ce don, n’est-ce pas trahir celle qui l’a élevé et aimé ? « Ma mère, comme dans un conte cruel pour enfants, s’était transformée en livres. »
Ce roman, qui se lit comme un policier de l’intime, dépeint avec une infinie pudeur la possible ambivalence des sentiments chez un enfant né sous X. « L’esprit d’enquête s’était emparé de moi (…) je cherchais un signe, une signature, une marque ou un sceau avec une avidité retenue par la crainte de les trouver. » Enfermé une nuit entière dans une chambre d’hôtel, au milieu des cartons, le narrateur exprime son amour et sa reconnaissance pour les livres (« brandons passés de main en main, éclairant la nuit des solitudes »), et pour la lecture (« Nous devrions lire pour nous quitter autant que pour nous retrouver »).
« 1144 livres » est un hommage incandescent et très émouvant à la lecture et à la littérature, capables d’abolir la distance entre les êtres et d’agrandir l’univers de chacun d’eux « car tel est le lecteur, que ne rassasie pas la vie obtuse et contrainte à son seul port d’attache. »
Il s’agit du premier roman de Jean Berthier, puissant et sensible, servi par une merveilleuse écriture. Réalisateur, Jean Berthier est à l’origine des courts-métrages « Nous n’irons pas mourir » (2012), « Une mignardise » (2010) et « Parasite » (2007). Il a également écrit pour des revues littéraires.
Sylvie Coral
La photo de Jean Berthier est l'oeuvre de Milena P. (Robert Laffont).