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Publié par Vendanges littéraires

Un texte inédit d’Henri Lhéritier

A propos d’une lettre publiée, parmi tant d’autres, dans les deux volumes de la correspondance de Paul Léautaud.

Éditions de poche 10/18. 

« Deux cents francs ! Vous trouvez que ce n’est pas cher ! A peine un quart d’heure, debout, en courant, tout habillé, avec une femme engoncée dans ses étoffes, sans soins, « une cuisinière dans sa cuisine », revêche, qui se fait prier, qui vous couvre d’observations jusque dans ce moment-là, - et en restant dehors ».

Je suis quand même assez d’accord avec ce pauvre garçon qui n’en a pas eu pour son argent, à qui on n’a accordé qu’une prestation très négligée, courte (encore qu’un quart d’heure, n’est-ce pas ?), assez extérieure, semble-t-il, qui de plus se fait rabrouer lors de la marche si délicate (on le sait tous) vers l’orgasme. L’amour c’est un événement et pas un potage préparé et chauffé sur le coin d’un gaz, à base de vermicelles spermatozoïdaux (ça existe en magasin) et d’eau un peu grasse.

D’ailleurs, le même individu définit ce qu’il entend être une prestation de qualité, à deux ou trois étoiles : « Mais pour ce prix-là on aurait une merveilleuse créature, gracieuse, coquette, disposée à tout, qui vous offrirait tout à la vue, qui se tournerait comme on voudrait, qui soignerait son travail, et dans un joli cadre, et tout le temps qu’on voudrait ».

Voilà, ça c’est du boulot. Cela ferait un bon slogan pour un lupanar, il ne faut pas se moquer du client tout de même, il est roi, on le satisfait, on le comble sinon on le rembourse. La protagoniste nue présente son devant, puis son derrière, tourne se retourne, offre un choix, des itinéraires, met la main à la pâte, on peut examiner, soupeser, musarder, butiner, longtemps, dans des parfums de luxe, des dessous chics qu’on épluche comme des oignons tendres, des draps en satin, c’est un travail d’horloger, plus délicat encore que d’assembler des Rolex, mais le résultat est cent fois plus sensationnel, on ne perd pas une seconde.

L’amour c’est un grand vin dans un verre à pied sur une nappe blanche immaculée et on a servi à ce pauvre garçon une piquette dans un gobelet en carton sur une toile cirée maculée de taches rondes et collantes fossilisées.

« Vous êtes comme les commerçants d’aujourd’hui, qui comptent cher et donnent de la camelote ». Je suis bien d’accord, tout fout le camp. Le hard discount a saboté le libertinage.

Mais bon, il y revenait Paul Léautaud (car on a reconnu le grincheux et libidineux Paul, désagréable comme lui, il n’en existe guère) à sa madame Cayssac, même si ceci, si cela…, le fléau, puisque c’est ainsi qu’il la désignait, devait bien avoir certaines qualités que je connais bien, moi, qui ai lu le Journal littéraire avec délectation et retroussis de babines, elle avait ses jours de grâce, madame Cayssac, je le sais, elle était bonne à ceci, bonne à cela, excellente dans ça, géniale pour ça au point que Paul disait, quand ça roulait, que cette femme, lorsqu’elle le voulait, pouvait être un ange, un ange sexué. 

Mais lui, Paul, était-il une affaire ? Pour la littérature, oui ! Pour le cul ?  Ce vieux misogyne avait-il des attraits tels qu’on put lui faire un prix d’ami ? À voir ses photos, on en doute, car là il ne s’agit pas de plume (oh, ça va, hein !) mais de chair. Madame Cayssac devait avoir le sentiment de forniquer avec un épouvantail évadé d’un jardin de banlieue, en le secouant elle craignait toujours de libérer des mies de pain, des fientes de moineaux et des odeurs de pipi de chat, alors pour de telles manœuvres, inutile de se mettre sur son 31, un placard à balais pouvait aisément faire office de lit coïtal et avec une culotte de coton tricotée et des bas reprisés, l’amant déguenillé était servi à la hauteur de ses propres prestations. Et puis Paul, quand tu te la tapais dans le dos de son mari (on lui faisait une demi-pension, là-bas, chez les Cayssac, pour le repas de midi, quand il quittait le Mercure, rue de Condé et d’ailleurs madame Cayssac qu’il fait passer ici pour une quasi professionnelle n’était que dans son rôle d’hôtesse, elle encaissait son dû, et ce rat de Léautaud voulait encore des suppléments sans lâcher un sou de plus), tu n’étais pas si mécontent, quelle aubaine n’est-ce pas pour le prix d’un menu normal, fromage et dessert. Trop gourmand mon ami !

C’était le 10 octobre 1932, dans une lettre adressée à Madame Cayssac à qui Paul Léautaud, donnait du « ma chère amie », pour mieux l’aligner ensuite. Il y en a des tonnes des lettres de ce genre, dans mon recueil, de la mesquinerie, de la mauvaise foi, de la méchanceté, de la misanthropie, de la misogynie et beaucoup, beaucoup, beaucoup de littérature.

Furieux, il finit : « Je ne compte pas vous revoir avant le Jour de l’an ».

Allons, allons Paul, à mon avis, tu ne tiendras pas le coup. Tu vas encore y laisser deux-cents balles dans pas longtemps.

Pour se désintoxiquer des lettres de Madame de Sévigné, il n’y a pas mieux.

Henri Lhéritier

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