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Publié par Bernard Revel

Tintin fête en 2019 ses 90 ans

 

Même les géants de la bande dessinée commencent petit. Né le 22 mai 1907 dans une modeste famille bruxelloise, Georges Remi se morfond dans ce milieu où, petit garçon, il subit comme un supplice les séances de chant à domicile qui sont la seule distraction de sa mère et de ses amies. Son père dessine et confectionne des vêtements. Drôle de père qui travaille avec un clone, son frère jumeau - Dupont et Dupond en quelque sorte - et qui rêve de voir son fils suivre ses traces. Mais Georges a d’autres rêves. Son goût de l’aventure trouve sa voie dans le scoutisme où, entre chants catholiques et exploits de casse-cou, il s’adonne au plaisir de dessiner.

L’abbé Wallez qui dirige le quotidien Le Vingtième Siècle lui trouve du talent et, en 1925, l’embauche… au service des abonnements. Mais les dessins que Georges, nourri de comics américains, signe Hergé (RG) ne passent pas inaperçus et, en 1928, le jeune homme est chargé par l’abbé Wallez de créer un supplément hebdomadaire du quotidien pour la jeunesse.

Ce sera Le Petit Vingtième dont le premier numéro paraît le 1er novembre.

Le 10 janvier 1929, Tintin et Milou y font leur première apparition en partant au pays des Soviets. Le trait est hésitant, inspiré de Benjamin Rabier, d’Alain Saint-Ogan (« Zig et Puce ») et de Geo McManus (« La famille Illico »). Mais un mythe est en train de naître. Georges Rémi a 22 ans et son drôle de Tintin qui a la tête de Bécassine et le courage d’un superscout fait un triomphe. Hergé dont la créativité est alors débordante, créera dans la foulée les personnages de Quick et Flupke puis, pour l’hebdo catholique français Cœurs Vaillants, Jo, Zette et Jocko, mais aucun n’aura sur la jeunesse l’impact de Tintin et ses amis.

La vie d’Hergé tourne vite autour de Tintin. En 1932, lorsqu’il épouse Germaine Kieckens, secrétaire de l’abbé Wallez, le « fameux reporter » est déjà allé au Congo et en Amérique et s’intéresse à présent à l’Extrême-Orient. 

Un style de dessin s’ébauche qu’on appellera plus tard « la ligne claire ». C’est après Les cigares du Pharaon (1933) que l’œuvre d’Hergé atteint un premier sommet avec Le lotus bleu. Pour réaliser cette aventure de Tintin dans une Chine en partie occupée par les Japonais et soumise à l’ordre colonialiste des puissances occidentales, Hergé est conseillé par un étudiant des beaux-arts du même âge que lui, Tchang Tchong-jen. Grâce au jeune Chinois, cette aventure de Tintin accède, dans les décors mais aussi dans le contexte politique de l’époque, à une authenticité inconnue jusqu’ici dans la bande dessinée.

Le lotus bleu est un tournant dans l’œuvre d’Hergé qui comptera ensuite bien d’autres chefs d’œuvre. Tchang joue un rôle majeur dans l’histoire. On le retrouvera 14 albums et 25 ans plus tard dans Tintin au Tibet. Le jeune homme, rentré en Chine où il devient un artiste important ne donnera pas signe de vie pendant des années. Il sera persécuté pendant la Révolution culturelle. Hergé retrouvera sa trace par hasard et, 47 ans après s’être quittés, les deux hommes se retrouvent à Bruxelles en 1981. 

Pendant la guerre, Le Vingtième cesse de paraître, laissant en suspens Tintin au pays de l’or noir au moment où notre héros est aux mains du docteur Müller. La suite ne sera connue que dix ans plus tard. Mais Hergé ne cesse pas de travailler. Il publie une nouvelle aventure de Tintin (Le crabe aux pinces d’or) dans Le Soir, journal collaborateur où paraîtront successivement : L’Etoile mystérieuse, Le Secret de la Licorne, Le trésor de Rackam-le-Rouge et une partie des Sept boules de cristal. Accusé de collaboration et d’antisémitisme à la Libération, ce qui lui vaudra une nuit de prison, l’auteur de Tintin est vite réhabilité et peut poursuivre son œuvre dans un hebdomadaire qui porte le nom de son héros, créé par Raymond Leblanc, patron des éditions du Lombard. 

Désormais, Hergé prend toute sa dimension. Secondé par des dessinateurs tels que Edgar P. Jacobs, auteur de Blake et Mortimer, Bob de Moor et Jacques Martin, il atteint le sommet de son art. Le petit monde de Tintin est au complet avec le capitaine Haddock, le professeur Tournesol et la Castafiore qui, ajoutés aux deux Dupontd apparus dès le « Congo », humanisent plus encore, tout en offrant une multitude de situations comiques, les aventures du reporter et de son chien. 

Dans les années 50, Hergé pousse le rêve de plus en plus loin, jusqu’à rendre possible à ses innombrables lecteurs déjà fascinés par Le Temple du Soleil, le voyage vers la Lune raconté en deux albums.  Il connaît un nouveau bonheur dans les bras d’une de ses coloristes, Fanny Vlamynck qu’il épousera bien plus tard en 1977.

Mais il traverse aussi une succession de dépressions, notamment au moment où il travaille sur Tintin au Tibet, album « blanc » qui a suscité de nombreuses analyses psychanalytiques. Il rêve de peinture moderne. Les albums se font de plus en plus rares. Mais quels chefs-d’œuvre avec, pour point d’orgue, les fameux Bijoux de la Castafiore ! Le dernier album, Tintin et les Picaros paraît en 1976. Laissant à jamais inachevé Tintin et l’alph-art, Hergé s’éteint le 3 mars 1983 vers 22 heures. 

Mais Tintin l’a rendu immortel. A travers les générations, celui qui a enchanté notre enfance et continue de nous enchanter malgré les ans, exerce sur nos enfants et petits-enfants, dès le plus jeune âge, la même fascination. Grâce à lui, on marchera toujours sur la Lune.

Bernard Revel

 

Tintin c’est nous

 

Etrange métier que celui de Tintin. Il est journaliste ou plutôt reporter. Grand reporter, plus précisément, puisque son champ d’investigation couvre la planète et même au-delà lorsqu’il pose le pied sur la lune. A son départ au pays des Soviets, son premier grand reportage connu, il est déjà « un des meilleurs reporters du  « Petit Vingtième », et c’est un représentant de la direction, semble-t-il, qui l’accompagne à la gare, flanqué d’un photographe qui immortalise l’événement. Le Tintin que le lecteur découvre en 1929 n’est donc pas n’importe qui. Il est suffisamment important, en tout cas, pour que son départ soit annoncé comme un fait exceptionnel. Mais Tintin est un drôle de journaliste. Il n’a pas de passé mais, très jeune - Hergé a dit lui-même que Tintin a 14 ans à sa première aventure et 17 ans à la dernière - il a déjà l’étoffe d’un Albert Londres ou d’un Joseph Kessel.  On n’envoie pas n’importe qui chez les Soviets à la fin des années vingt.

Quelles sont ses lettres de noblesse ? On l’ignore. Le « fameux reporter » n’a pas de « press-book » et pour cause : il n’écrit pas. Un comble pour un professionnel de la presse écrite. Il y a une exception cependant : au début de son voyage en Russie, après maintes péripéties, il profite d’un court répit pour rédiger dans une auberge ce qu’il appelle « un bel article ». Il noircit une grande quantité de feuillets en se demandant s’il a « fait assez de copie », ce qui dénote une certaine inexpérience dans le métier. Qu’importe, du reste, puisque l’article n’arrivera jamais au « Petit Vingtième ». Tintin n’en a cure. Il n’écrit pas l’histoire. Il la vit, il la change. Il n’est pas un observateur. Il est un acteur. Il n’est pas un spectateur du monde. Il sauve le monde. A la fin de ses aventures chez les Soviets, axe du Mal pour la pensée conservatrice de l’époque, il arrête à lui tout seul un « bolchéviste » qui « avait l’intention de faire sauter à la dynamite toutes les capitales d’Europe ». Rien que ça.

Tintin est un héros accueilli par la foule en liesse à son retour à la gare de Bruxelles. Et de fait, la bande dessinée qui paraissait chaque semaine dans Le Petit Vingtième connut un tel succès que la réalité rejoignit la fiction. La publication organisa un vrai retour en train avec un jeune homme déguisé en Tintin russe qui fut accueilli triomphalement.

Ecrire, pour ce journaliste hors du commun, est superflu puisque ses lecteurs vivent ses reportages en direct. Tintin est le lecteur qui part sur le terrain, affronte le mal, fait triompher le bien et rentre à la maison. Après avoir « vécu » une aventure de Tintin, nous disposons de toutes les informations pour écrire le reportage. Mais à quoi bon ? Pour informer qui ? Puisque Tintin, c’est nous.

B. R.

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F
je suis tintinophyle, et j'aime toujours relire cette histoire de HERGE et de TINTIN.
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