« ... Et je suis devenu Gilet jaune »
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« Péage Sud » de Sébastien Navarro
Editions du Chien Rouge, 300 pages, 13 euros.
Sébastien Navarro s’est immergé des semaines durant au groupe des Gilets Jaunes qui ont manifesté au niveau du rond-point Péage de Perpignan sud. Il nous fait découvrir de l’intérieur, la réalité de ce mouvement spontané qui a fait trembler le pouvoir des élites bardées dans leurs certitudes saturées de morgue.
Sébastien Navarro a obtenu pour son livre précédent « Panchot » le prix Odette Coste des Vendanges littéraires. Il sera à Rivesaltes le 3 octobre.
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On connaissait Sébastien Navarro comme historien – n’a-t-il pas osé rouvrir récemment le douloureux dossier Julien Panchot dans un livre remarquablement documenté ? - on le retrouve quelques mois plus tard toujours en historien, non en quête d’une vérité passée mais en découvreur d’une histoire en cours, celle des Gilets Jaunes.
Comme dans « Panchot », Navarro ne se contente pas d’enquêter, de commenter les faits en les contextualisant dans une histoire plus longue, il se met en scène en tant qu’homme, en tant que militant de l’extrême gauche libertaire, en bon gars qui aime bien boire un coup et se griller des clopes… Et même en compagnon d’une femme avec laquelle il forme un couple plutôt sympa. Et plus car affinités.
Le péage sud de l’autoroute A9, c’est là que ça se passe. Les Gilets Jaunes (GJ pour les intimes) y ont établi un barrage filtrant dès le début du mouvement, le 17 novembre 2018.
Mû par une saine curiosité, Navarro s’y rend un jour à bicyclette histoire de voir. Il est stupéfié par la « fourmilière canari » qui s’y déploie, suite à une mobilisation lancée sur internet. Il a « marché ce truc », s’étonne le militant Navarro, un rien envieux devant ce qui ressemble pourtant à une énième manifestation de râleurs qui s’insurgent contre la taxation outrancière du gasoil. Mais qui sont ces gens ? D’où sortent-ils .
« Des beaufs », pour un journaliste local, copain de bistrot de Navarro. Des gens, qui de surcroît « fument des clopes et roulent au diesel », pour les affidés parisiens du tout puissant Macron. La populace quoi !
Navarro, va retourner sur le Péage Sud, tant il est convaincu qu’il ne doit pas passer à côté de cette révolte des Gilets Jaunes. Dès ses premières rencontres sur le rond-point balayé par un vent froid de décembre, le courant passe entre lui et quelques figures emblématiques du mouvement. Pas de chef, pas de ligne politique, une grande diversité d’origines sociales, nationales et générationnelles, mais une seule voix pour demander la démission du président de la République dont ils dénoncent la morgue et le mépris. Ils veulent simplement vivre mieux. Décemment. A cela viennent s’ajouter d’autres revendications comme le rétablissement de l’impôt sur la fortune et la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne.
L’arme des Gilets jaunes : le blocage de l’économie grâce aux barrages routiers et à l’occupation des péages. Les automobilistes passent, mais les poids-lourds stagnent sur la voie de droite. Un boulot de dingue qui occupe le plus clair de leur temps en dehors de leurs défilés en ville et surtout de leurs affrontements journaliers avec les forces de l’ordre.
Très vite, la relation devient fusionnelle entre les jaunards et Navarro qui enfile le gilet pour la première fois le 4 décembre 2018. « Je regarde les gilets jaunes. Je marche avec eux. A chaque pas, il se passe un drôle de phénomène en moi. A chaque pas je me quitte un peu plus pour devenir eux ».
Eux, c’est une galerie de personnages étonnants comme surgis du néant où les cantonnait la société ultra libérale du pognon et des privilégiés. Des vrais gens avec du caractère et une forme de génie, celui de la parole, de la débrouille, de l’imagination et du courage. Au gré des rencontres de Navarro, on fait ami-ami avec Miss Klaxon, Vittorio le Rital, Mansour la grande gueule, Sylvaine la saboteuse et beaucoup d’autres. Une galerie de portraits épatante sur le plan littéraire. Touchante aussi sur le plan humain.
Cette empathie de l’auteur pour ses sujets en jaune fluo se rit de tout ce qui aurait pu rebuter un militant anarcho-gauchiste comme Navarro.
Il ne voit rien à dire, ni même à redire sur l’aspect désordonné de leurs revendications, leur refus de contrôler les entrées dans leurs rangs d’éléments de la sphère fascisante, révisionniste ou complotiste ; leur volonté de ne pas se doter de représentant et de refuser toute hiérarchie. Il ne veut voir de ce mouvement spontané que son versant profondément humain.
Il y trouve aussi son compte sur le plan révolutionnaire quand il explique que « le cœur de la révolution c’est pas la réflexion, c’est le mouvement qui crée la conscientisation ». Il ajoute plus loin en anar reconnaissant : « Les Pauvres font l’histoire, les autres la commentent. » Voilà, tout est dit.
Christian Di Scipio
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Dehors et dedans
Navarro a donné de sa personne lors de sa participation aux manifestations de son groupe du Péage sud. Il a bloqué des camions, donné son avis dans les assemblées générales, il a défilé dans les rues, mais au moment de la castagne, il se mettait en retrait. Voilà pour son action "dedans".
Cette réserve ne lui a pas épargné un séjour dans les locaux de la police en raison de son activité de journaliste relatant ce qu’il voyait et ce qu’il ressentait sur un blog. On touche là son rôle en "dehors".
On trouvera en annexe du récit des chroniques signées Stan Zeguetto, référence phonétique au titre de Bernard Lavilliers Stan the Ghetto. Elles ont été publiées dans un blog nommé Ramball. Encore une facétie de Sébastien Navarro puisque ce blog est fictif et qu’il est l’auteur de ces chroniques dont le contenu, diffèrent de l’enquête du livre, est de la même veine : limpide.
* On peut lire dans ce blog notre recension du livre « Panchot » sous le titre « Un naïf à Valmanya ».