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Publié par Bernard Revel

« La constellation Rimbaud » de Jean Rouaud qui parlera de son livre ce samedi 2 octobre aux Vendanges littéraires de Rivesaltes.

Tout a été dit sur Arthur Rimbaud. Si son œuvre est fort mince, les livres qui lui sont consacrés rempliraient une bibliothèque. Les biographies d’Enid Starkie et de Jean-Jacques Lefrère, les essais d’Alain Borer sur sa période africaine semblent avoir fait le tour de la comète. Et voilà que Jean Rouaud s’en mêle à présent en publiant une « constellation Rimbaud » qui reconstitue le portrait de « l’homme aux semelles de vent » à partir des êtres mais aussi des lieux qui ont traversé sa vie. La démarche est originale. Chacun porte son Rimbaud en lui, n’en livrant qu’une vision partielle. Aucun ne détient la vérité. Mais sous la plume alerte de Jean Rouaud qui place chaque pièce du puzzle à sa bonne place, le visage de l’écrivain se révèle peu à peu au lecteur.
Elle fut courte, cette vie commencée à Charleville pour se terminer dans un hôpital de Marseille. Trente-sept années franchies à grands pas par un adolescent fugueur qui devint dynamitero de la poésie à Paris, aventurier du bout du monde, arpenteur de l’immensité abyssinienne. « Partir, il n’a fait que ça », note Jean Rouaud. Ce n’est pas Rimbaud tel qu’il fut mais, selon la formule d’Alain Borer, « Rimbaud tel qu’il fuit ». Fuir l’ennui, le froid, la mère, la bohème, les gens, l’instant présent. Il n’est bien nulle part. Même à Harar où il reste dix ans à marcher jusqu’au bout de ses forces en espérant une fortune qui ne vient pas, il ne rêve que d’ailleurs.
 

Jean Rouaud tente de trouver l’explication de cette errance dans le regard des autres. Et d’abord celui du père, le capitaine Frédéric Rimbaud qui abandonna sa famille pour aller guerroyer en Algérie. Est-ce lui, ce « grand absent », que l’enfant de la ferme de Roche recherchait lorsqu’il rêvait dans le grenier « où bascula définitivement l’idée qu’on se faisait jusque-là de la poésie » ? Sa mère Vitalie, celle qu’il appelait la Mother, « la revêche, l’autoritaire, la prude, la bigote », qu’il a fuie toute sa vie mais vers qui il est toujours revenu, porta seule le lourd fardeau d’avoir enfanté un tel génie. Mais si ceux qui, à Charleville, furent « accrochés à la comète » Rimbaud et assistèrent à son « éclosion poétique », Ernest Delahaye, son compagnon de collège, Georges Izambard, son professeur, en eurent leur vie bouleversée, c’est un vieux professeur, Monsieur Pérette, qui cerna le mieux l’élève surdoué au regard pervenche : « Il finira mal. En tout cas rien de banal ne germera dans cette tête ».
Armé de ses poèmes, Arthur Rimbaud part à 17 ans à la conquête de Paris. Verlaine est « un interlocuteur à sa hauteur », souligne Jean Rouaud, « mais humainement un désastre ». « Ce qui nous vaudra, Une saison en enfer » et signera pour lui la fin de la poésie. La compagnie des poètes parnassiens irrite le jeune homme qui se plait à les provoquer. Mais deux hommes du sud qui l’hébergeront tout à tour, auront sur lui une certaine influence : le « Catalan alcoolique » Ernest Cabaner, poète, musicien, dont la méthode d’apprentissage de la musique, associant les notes à des couleurs, inspira le poème des Voyelles ; l’Audois Charles Cros, poète et inventeur de génie qui ne pouvait que fasciner celui qui, plus tard, à Harar, se fera envoyer une centaine de livres techniques.
Paris, Londres, Bruxelles, la jeunesse de Rimbaud se consume dans une succession de fiascos plus ou moins dramatiques. Pour lui, relève Jean Rouaud, « la poésie n’est plus que l’expression d’un tic séculaire, d’un toc, d’une posture ». Il la fuit pour toujours, « en quête des derniers carrés d’innocence de la planète au moment où l’industrie et la technologie occidentales sont en train de tout envahir, de tout polluer, de tout détruire ». Il croit trouver sa place à Aden où le négociant Alfred Bardey l’emploie. « Rimbaud négocie en oromo et en arabe, enveloppé d’une cape rouge et coiffé d’un turban, l’achat de sacs de moka qu’il transporte à dos de chameau jusqu’à Obock. Ce qui a une autre allure que d’être reçu vêtu de vert sous la Coupole », s’amuse Jean Rouaud.
 

Mais c’est Harar qui fait rêver très vite le jeune homme. Il y arrive après vingt jours de cheval. Le désordre y règne malgré la mainmise musclée sur la région de Ménélik, autoproclamé roi des rois. Ce n’est pas le paradis. Rimbaud y connait des déboires dont un désastreux trafic d’armes. Mais il se pose enfin, vivant un temps avec Mariam l’abyssine. « Heureux comme avec une femme ? » « C’aurait pu être ça, le lieu et la formule, pense Jean Rouaud, un commerce fructueux à Harar et regarder grandir l’enfant de Mariam. De quoi échapper à la malédiction native du garçon de Charleville abandonné par son père et élevé sans amour. Mais pas pour toi, Arthur Rimbaud ». Une douleur à la jambe, le chemin de croix jusqu’à Aden puis Marseille où, veillé par sa sœur Isabelle, il subit l’amputation, le transport à Charleville, le retour à Marseille, l’improbable confession. Et enfin, après sa mort survenue le 10 novembre 1891, le temps des témoins qui s’attellent à retoucher le portrait selon leurs intérêts, leur ego ou leurs fantasmes.

Mais « la légende était déjà en marche ».

Bernard Revel

 

Illustrations :

Rimbaud l'adolescent fugueur (dessin de Valentine Hugo).

Rimbaud à Harar.

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