Le jeune homme et San-Antonio
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« Le roman de San-Antonio » par Fred Hidalgo
(Balzac éditeur)
Deux pavés pour raconter le roman vrai de San-Antonio alias Frédéric Dard, il fallait bien ça. Et le journaliste et éditeur Fred Hidalgo, créateur de la mythique revue Chorus, était le mieux placé pour s’atteler à cette tâche, lui que le prestigieux écrivain adouba du titre de Grand Connétable de la San-Antoniaiserie.
Le premier tome nous fait revivre la rencontre d’un garçon de 15 ans avec l’écrivain, leur amitié au fil du temps, jusqu’à la brouille qui les sépare en 1970.
Le second raconte leurs retrouvailles et comment leurs liens deviennent avec le temps une relation père-fils. Au-delà de leur histoire personnelle, Fred Hidalgo nous livre le portrait le plus complet qui soit du « romancier français le plus novateur (et populaire) du XXe siècle ».
Tome 1 : « San-Antonio poussa la porte et Frédéric Dard entra »
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« Ma vocation de journaliste et d’éditeur est née à quinze ans et demi, dans mon lit, de la collision explosive des oreillons et de San-Antonio ». Fred Hidalgo annonce la couleur dès les premières pages. Rien ne prédisposait le jeune homme, menant avec ses parents, sa grand-mère et son petit frère une existence modeste et bien intégrée dans la société française, à rencontrer à 15 ans le célèbre écrivain à la réputation quelque peu sulfureuse.
Imaginez le « fils d’un commandant républicain de la guerre civile espagnole, tendance Durruti », élève, avec deux autres garçons parmi des « dizaines de donzelles en fleurs », au Cours Notre-Dame de Dreux, chez les sœurs de la congrégation Saint-Paul de Chartres. Il engloutit les livres qu’on lit à cet âge et découvre un jour d’automne 1964, à la Maison de la Presse, dans un tourniquet à l’enseigne du Fleuve Noir, parmi les nombreux titres estampillés « Angoisse », « Anticipation », « Aventurier », « Espionnage » et « Spécial-Police », quelques-uns signés San-Antonio. Sont-ce ses racines ibériques qui le poussent à acheter d’un coup, pour la somme de 10 nouveaux francs, quatre romans de cet auteur qu’il ne connait pas ? Sont-ce plutôt les couvertures aguichantes ou les titres genre « J’suis comme ça », « Du brut pour les brutes » ? Il n’en sait rien lui-même. Sur ces entrefaites, il attrape les oreillons, et le voilà alité, condition idéale pour dévorer les quatre romans d’affilée « jusqu’à ce que San-Antonio, sous la couette, se glisse sous ma couenne, m’envahisse le colon, me colonise la moindre cellule - après l’invasion des microbes, l’attaque à mots armés ! - qu’il me propulse dans la quatrième dimension de la littérature - jamais rien lu de tel, pour sûr ! – et me destine à devenir le plus féal des féaux ».
Tous les garçons de cette génération ont découvert un jour San-Antonio. Mais combien en ont eu leur vie chamboulée comme le fut celle du jeune Fred Hidalgo ? Car avec lui, ça va bien plus loin que ça. Guéri, il court acheter « L’Histoire de France vue par San-Antonio » qui vient de paraître et la lit avec jubilation (qui n’est pas sa sœur). Rien d’étonnant, penserez-vous. Sauf que, dans la foulée, il prend sa plus belle plume et écrit « Cher Monsieur San-Antonio », premiers mots d’une longue lettre qu’il envoie aux éditions du Fleuve Noir. Peu de temps après, la réponse lui parvient, signée San-Antonio. Quelques lignes sympathiques se terminant par un « écrivez-moi à nouveau » qui ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd.
Dès lors commence une relation singulière entre deux êtres que tout sépare (l’âge, le train de vie, les fréquentations, les états d’âme) excepté le pouvoir euphorisant des mots « san-antoniens ». En six mois, Fred Hidalgo passe « du stade de la découverte d’un écrivain sans visage à une immersion sans réserve dans son univers ; d’une admiration spontanée à une passion presque filiale ». Un dimanche de juin 1965, ce qu’il n’osait même pas rêver se réalisa : « San-Antonio poussa la porte et Frédéric Dard entra ». Entouré de sa famille, Fred Hidalgo, que l’écrivain ne pensait pas si jeune, vit des instants inoubliables. Sa mère immortalise avec un Polaroïd la première rencontre entre celui qui « allait sur ses quarante-quatre ans » et celui qui venait d’en avoir seize.
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La suite, le premier tome du « Roman de San-Antonio » nous la raconte, embrassant une période allant de 1921, année de naissance de Frédéric Dard, à 1971, à travers les biographies détaillées de l’écrivain et du jeune Fred, le second explorant le passé de son aîné et découvrant le drame de sa vie. Car en cet auteur, deux tempéraments s’affrontaient : le « littéraire » qui signait Frédéric Dard des romans « sérieux » qui se vendaient peu ; et le « pisseur de copie » signant San-Antonio des romans « alimentaires » qui, à un rythme presque mensuel, s’écoulaient à plus de 200.000 exemplaires chacun. Le succès de ses seuls « romans de gare » qui l’exclut pendant des années des pages littéraires de la presse était pour lui une souffrance. Il y avait un côté sombre chez Frédéric Dard qui, ajouté aux soucis familiaux et à un rythme de travail effréné (romans, pièces de théâtres, scénarios pour le cinéma et la télévision) le poussa jusqu’à une tentative de suicide le jour même où Fred Hidalgo fut invité chez lui pour la première fois. Rendez-vous raté (avec la mort et avec le jeune homme) qui, heureusement, n’empêcha pas leur amitié de se poursuivre et s’épanouir pendant des années, grâce à la création, par ce dernier, du Club San-Antonio. Ce petit cercle qui devint grand, publia un bulletin de liaison et fut mêlé de près à tout ce qui concernait l’actualité féconde de l’écrivain (film, opérette, émissions de télé et, bien sûr, nouveaux livres). Gérard Barray, Jean Richard et Paul Préboist (respectivement San-Antonio, Bérurier et Pinaud de cinéma) devinrent parrains du club et amis du jeune Hidalgo. Quant aux romans signés San-Antonio, célébrés par Jean Cocteau, décortiqués par des universitaires, ils poursuivaient leur long chemin vers une reconnaissance littéraire qui finirait bien par arriver.
Mais la vie sépare ceux qui s’aiment, comme dit la chanson. Pas seulement puisqu’une Mauricette entra dans celle de Fred et y resta. C’est Frédéric Dard en personne qui en sortit en 1970, dans une colère noire à cause d’un article légèrement critique de son « féal », laissant ce dernier désemparé au moment où sa vie prenait un nouveau départ.
Tome 2 : « San-Antonio sans alter ego »
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Ayant obtenu la nationalité française, Fred Hidalgo part en coopération à Libreville avec Mauricette qu’il vient d’épouser. Mais il se sent toujours lié par un « grand fil invisible » à celui qui lui parle constamment à distance, d’un nouveau roman (« La Sexualité ») à l’autre (« Emballage cadeau »). Si bien que, n’y tenant plus, il lui envoie enfin, en janvier 1972, une lettre avec ces mots : « J’espère que vous ne m’en voulez plus ». Douze jours plus tard, arrive la réponse : « Pourquoi vous en voudrais-je ?... Ne parlons plus de cela. »
Et c’est reparti ! L’un au Gabon où, profitant de l’argent qui « coule à flots », il met tout son temps et son énergie à créer un journal d’information, l’autre dans sa villa de Gstaad en Suisse où, au fil des livres, Frédéric Dard s’efface de plus en plus devant San-Antonio, ils maintiennent entre eux un contact épistolaire. Mais ils ne se reverront que bien plus tard, deux ans après le retour en France de Fred et Mauricette, parents de deux fillettes, embarqués dans une nouvelle aventure : le lancement du magazine Paroles et Musique.
Treize ans après leur dernière rencontre, c’est un nouvel homme que découvrira Fred, celui qui aura opéré la jonction entre Frédéric Dard et San-Antonio. Il avait, bien sûr, assisté de loin à l’évolution de son prestigieux ami, en lisant d’abord son premier livre autobiographique « Je le jure », signé San-Antonio, dans lequel l’auteur évoque sa carrière « accidentelle » payée « de quelque amertume parce que dans cette profession on est vite classé, vite catalogué. Je suis un auteur de romans policiers qui fait dans le comique… Ce n’est quand même pas le rêve le plus profond, le plus secret d’un littérateur ». Pourtant c’est San-Antonio, grâce au style qu’il a inventé pour narrer ses aventures, qui va faire de Frédéric Dard un écrivain unique, invité par Bernard Pivot et Jacques Chancel à la télé, enfin reconnu. Et c’est du nom de San-Antonio que, toute honte bue, il va enfin signer tous ses livres. A commencer par ce grand roman qu’est « Y a-t-il un Français dans la salle ? », premier d’une série adoptant le style et la verve de San-Antonio mais sans le célèbre commissaire, ni Béru et leurs rabelaisiens complices.
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Les années 80 sont fastes pour l’écrivain. Les tirages de ses livres dépassent les 600.000 exemplaires. Aussi Fred retrouve-t-il un homme apaisé qui l’accueille avec une tendresse « quasi paternelle ». Il le prouve en citant son nom dans « Bouge ton pied que je voie la mer » et surtout en lui disant un jour au téléphone : « Tu sais bien que tu es mon fils ». C’était après une alerte cardiaque. Fred, bouleversé, lui écrivit une longue lettre pour lui avouer enfin, au bout de 22 ans de fréquentation, qu’il l’aimait. Encore marqué par l’enlèvement de sa fille Joséphine, 12 ans, relâchée par son ravisseur au bout de cinquante heures contre le versement d’une rançon de deux millions de francs suisses, Frédéric Dard se sentait, en même temps que son succès grandissait, très vulnérable. « Je ne serai plus jamais le même », confiait-il alors.
En 1984 parait « Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches », son chef-d’œuvre, selon Fred Hidalgo. L’écrivain lui dédicace « ce livre que je me suis arraché du cœur ». « Les vingt dernières années de sa vie, Frédéric Dard fera plus que s’accomplir dans ses écrits. Il mettra ses tripes sur son établi d’écrivain et nous interpellera à l’infini pour mieux nous livrer son désarroi existentiel », écrit son « fils spirituel » qui, de son côté, ouvrira en 1992 la plus belle page de sa vie professionnelle en créant la revue Chorus.
Depuis qu’il avait eu la joie, à 15 ans, de recevoir San-Antonio-Dard chez lui, Fred qui fréquente désormais les grands de la chanson, de Trenet à Goldman en passant par Renaud, est resté son admirateur inconditionnel et, même si les deux hommes ne se voient pas aussi souvent qu’ils le souhaiteraient, ils se sentent de plus en plus proches l’un de l’autre. Au printemps 1999, l’immortel et toujours irrésistible commissaire San-Antonio fête ses 50 ans. Fred Hidalgo aussi. Lisant le 172ème opus de la série intitulé « Ceci est bien une pipe », il découvre avec joie ces mots à la page 56 : « Je connaissais la chanson, paroles et musique, comme dirait mon cher Fred Hidalgo, le plus féal de mes féaux. Je le proclame ici Grand Connétable de la San-Antoniaiserie, titre dont il pourra se parer sa vie durant et orner ses pièces d’identité ». De la part d’un écrivain « pesant » un demi-milliard de lecteurs, ça vaut toutes les rosettes !
Au matin du 8 juin 2000, alors qu’il roule vers l’imprimerie de Mantes-la-Jolie, l’autoradio annonce à Fred la funeste nouvelle : « L’écrivain Frédéric Dard est mort ». Il se gare sur le bas-côté et se met à chialer « longtemps, comme un gamin ». Le gamin qu’il était lorsque, un jour d’automne 1964, il se décida à écrire une lettre commençant par ces mots : « Cher Monsieur San-Antonio ».
Et en 2022, en lisant sa tendre et captivante biographie, vous chanterez comme moi : « Non, non, non, non San-Antonio n’est pas mort ! … »
Bernard Revel
Le roman de San-Antonio, Fred Hidalgo.
(Balzac éditeur, 25 € chaque volume)
Tome 1 : San-Antonio poussa la porte et Frédéric Dard entra, 441 pages.
Tome 2 : San-Antonio sans alter ego, 375 pages, avec en annexes, nombreux documents, notes et photos.
Posté by admin on 07/03/2022 in Uncategorized Commentaires fermés | ∞ En librairie (chez Balzac éditeur) depuis le Après une édition hors commerce, numérotée et signée, parue en avril, LE...