La jeune fille invisible
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Petite Sale de Louise Mey
Editions Le Masque, janvier 2023 – 374 pages
Février 1969, en Picardie. « A perte de vue la terre, brun-noir, grasse et humide sous sa croûte de gel gris. Riche. » Catherine, elle, est pauvre. A dix-neuf ans, elle trime comme employée aux corvées les plus sales dans la propriété de la famille Demest, un territoire immense dédié à la culture intensive de la betterave. Monsieur Augustin Demest y règne sans partage ni concession. Les salariés sont nombreux, gens du cru ou Italiens immigrés, tous débiteurs de ce roitelet qui se prend pour un empereur, leur donne du travail et les a rendus, eux et leurs familles, complètement dépendants. La méthode de management de Demest est contenue dans son limpide « il faut rendre ».
Catherine est effacée, silencieuse, invisible. Par une fin d’après-midi glaciale et neigeuse, elle se voit confier le temps de quelques minutes la petite-fille de Demest, Sylvie, âgée de quatre ans. Mais la petite disparaît soudainement dans la cour même de la propriété. Une demande de rançon de deux millions de francs ne tarde pas à tomber sur le bureau de Demest. La gendarmerie locale est saisie de l’affaire, rapidement rejointe par deux policiers parisiens dépêchés par le 36 Quai des Orfèvres. Une enquête laborieuse et frustrante débute, compliquée par le temps de chien, les réticences des villageois, l’accumulation des peurs, des rancœurs et des non-dits. Pour donner une idée de l’atmosphère très cinématographique de ce roman, on peut se souvenir de celle du film Les Granges Brûlées (1973).
Louise Mey nous replonge dans une époque où les enquêtes se menaient sans téléphone mobile ni fadettes, sans GPS dans les R4 grises, sans ADN, sans Google Maps. Il fallait flairer, traîner dans les bistrots, observer, composer avec des journalistes menant des investigations parallèles voire concurrentes.
Au-delà de l’histoire policière elle-même, l’autrice dépeint la société rurale de la fin des années soixante. La seconde guerre mondiale est encore proche. Certains l’ont connue, comme Dassieux, l’aîné des deux flics parisiens. D’autres étaient trop petits pour s’en souvenir, comme son collègue Gabriel Sautet, né en 1940… On assiste au basculement d’un système ancien où le droit de cuissage n’était pas encore dénoncé, aux prémices de la lutte des femmes pour leur émancipation, aux premières aberrations agricoles faisant le lit du désastre actuel.
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Petite sale est remarquablement bien écrit, captivant d’un bout à l’autre, habité de personnages réalistes et élaborés avec une très fine psychologie.
Louise Mey, née en 1982, confirme son talent d’autrice de romans policiers, parmi lesquels La Deuxième Femme, roman noir publié en 2020 chez le même éditeur.
Sylvie Coral
Photo du haut : Louise Mey « vue » par Dwam Ipomée.