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Publié par Sylvie Coral

Amin Maalouf au-dessus de la mêlée

« Les désorientés » d’Amin Maalouf. Ecrivain franco-libanais né en 1949 à Beyrouth, Amin Maalouf est élu à l’Académie Française en 2011. Depuis 1986, ses ouvrages ont été régulièrement primés. Il a reçu le Prix Goncourt en 1993 pour « Le rocher de Tanios».

(Editions Bernard Grasset, 520 pages, 22 €)

« On parle souvent de l’enchantement des livres. On ne dit pas assez qu’il est double. Il y a l’enchantement de les lire, et il y a celui d’en parler. » (Amin Maalouf).

Cet enchantement à parler du dernier roman d’Amin Maalouf, je l’éprouve indiscutablement. Désorientée, je le suis presque moi-même, à l’instant où je termine cette lecture, tant l’intensité des idées proposées ébranle le confortable ordre mental dont je jouissais jusqu’ici.

2001. Adam vit à Paris et y enseigne l’histoire depuis vingt-cinq ans. Il apprend le décès d’un ami de jeunesse, Mourad, resté au pays. Ce pays, jamais nommé dans le livre, c’est le Liban. Malgré la brouille qui les a tenus éloignés depuis les années 70, Adam entreprend le voyage, d’abord par égard pour la veuve de Mourad, puis mû par son propre désir de retour aux sources. Très vite, s’impose l’idée de réunir le cercle d’amis auquel Mourad et lui appartenaient autrefois. Hébergé à l’hôtel de l’accueillante et sensuelle Sémiramis, il débute une correspondance électronique avec chacun d’eux, d’emblée intense et sincère, à travers laquelle le lecteur découvre le destin des différents protagonistes, durant cette longue parenthèse de silence.

Malgré les « événements », certains sont restés au pays, d’autres se sont expatriés. Au fil des échanges, de nombreuses questions seront posées. Qui a eu tort, qui a fait le bon choix ? Où résidait le courage ? Avons-nous le droit de juger ? Que reste-t-il de l’amitié et des rêves de jeunesse lorsque la guerre et les religions s’en mêlent ? Est-il souhaitable de revenir sur ses pas ? Peut-on aimer sans trahir ?

L’alternance du « je », lorsqu’Adam rédige son journal, et du « il » lorsque le narrateur prend le relais et témoigne, confère au roman une vraie respiration, au sens propre comme au figuré, puisque c’est de vie qu’il est question. La trame de l’histoire est parsemée, avec une remarquable maîtrise, d’imperceptibles indices annonciateurs du dénouement.

Chez Amin Maalouf, la tolérance est la condition de toute confrontation d’idées. Il fait preuve d’un respect absolu à l’égard de toutes les formes de pensées, sans jamais se montrer complaisant. Il désigne ceux qui, « parce qu’ils ont une religion, se croient dispensés d’avoir une morale. » L’auteur se situe bien au-dessus de la mêlée, à une époque où toute pensée claire doit lutter pour ne pas se diluer dans le magma mondial, médiocre et confus.

« La mémoire des mots se perd, pas celle des émotions » écrit-il encore. Amin Maalouf fait partie des quelques auteurs qui marqueront notre temps. L’émotion que procure ce roman lumineux n’est pas près de se perdre.

Sylvie Coral

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