La couleur du sixième chakra
"Indigo" de Catherine Cusset. Auteur d'une dizaine de livres publiés essentiellement chez Gallimard, Catherine Cusset, née en 1963, alterne autofictions et œuvres plus romanesques. Elle a obtenu en 2008 le prix Goncourt des lycéens pour son roman "Un brillant avenir".
(Editions Gallimard, 310 pages)
Charlotte, Roland, Géraldine… Dans ce roman, à tour de rôle, ces trois personnages vont prendre la parole. C’est lors d’un festival culturel qui se situe en Inde, dans le Kérala, qu’ils vont faire connaissance et se côtoyer durant toute une semaine.
Charlotte vit confortablement avec mari et enfants à Manhattan, où elle enseigne la littérature et où elle a réalisé deux films. Elle se dit que ça va lui faire du bien de rompre un peu avec ses habitudes. Elle vient aussi de perdre une amie qui a vécu là-bas et elle se pose des questions. C’est elle qui inaugure le bal d’Indigo, et c’est déjà captivant ! Dès les premières lignes…
Roland, lui, est un écrivain sexagénaire, multi-divorcé, grand séducteur sur le retour, et c’est Renata, une jeune femme dont le charme l’a une fois de plus piégé, qui l’accompagne. S’il a accepté cette invitation, c’est pour solder là-bas une vieille histoire d’amour qui le turlupine encore…
Quant à Géraldine, c’est l’organisatrice de la manifestation (ah ! les cauchemars des organisateurs ! Tout y est : l’angoisse de la salle vide, du plan de table, les caprices des écrivains, leur confort à assurer…). Elle est mariée à un Indien, mère depuis peu (c’est un peu le double de Charlotte, l’argent en moins) et elle va vivre une semaine intense, toute à ses invités, et particulièrement à l’un d’entre eux : Raphaël.
Lui, c’est un beau ténébreux, froid, direct, intransigeant, auteur d’autofictions ravageuses où il règle ses comptes avec sa famille, sans ménagements (genre Lionel Duroy) et Géraldine en était follement amoureuse dans son enfance…
Et des hasards, des coïncidences de cette sorte, le roman n’en est pas avare (et c’est un peu étrange, d’ailleurs, mais ça fonctionne !), pas plus aussi de descriptions détaillées de chacun d’entre eux, à la manière anglo-saxonne, et c’est bien la raison pour laquelle on a du mal à le lâcher, ce bouquin, dès lors qu’on y met le nez dedans.
Sans compter que l’auteure réussit à tisser autour de cet événement toutes sortes d’intrigues, chaque protagoniste découvrant, qui une part de lui-même inconnue, qui d’anciens sentiments enfouis, qui un autre éclairage sur des moments douloureux, qui encore leçon de sagesse ou petites désillusions…
Mais au-delà de ce ballet habilement mené, il y a aussi la chaleur, les odeurs, les couleurs du ciel, les sourires, la poussière, la misère de l’Inde… et tous ses antagonismes. Le fond du tableau est attachant et que ce soit au fin fond d’une boutique pour négocier une pashmina, à quatre fois le salaire d’un Indien, ou la nuit sur une plage à affronter une horde de chiens sauvages, c’est en pleine osmose avec les personnages que l’on découvre ce pays dans lequel, terrorisme oblige, chaque voiture est minutieusement contrôlée à la porte du parc de l’hôtel.
C’est encore le choc des cultures, là-bas. Tradition et modernisme ont du mal à fusionner harmonieusement.
C’est de la veine du roman réaliste, du roman psychologique, où le féminin (avec ses doutes, ses appréhensions, ses romances) est particulièrement mis en avant, avec candeur quelquefois, quelques clichés souvent et beaucoup de sensualité. Le style manque un peu de relief. Il est indolent, sans saveur particulière. Catherine Cusset ne cherche pas à briller de ce côté-là. Mais la recette est, quant à elle, infaillible : quatre personnages, loin de chez eux, réunis autour d’un projet commun, vus de l’intérieur et de l’extérieur. Le temps d’un voyage en Inde. Mélanger, observer, et décrire…
Et l’imaginaire de notre écrivain suffit à donner à ses écrits un souffle romanesque qui emporte, qui donne à voir, à comprendre aussi, au travers de ses personnages, qu’il suffit d’être un peu bousculé dans son existence pour réussir à mieux se connaître.
La raison peut-être pour laquelle elle a baptisé son livre Indigo. C’est la couleur associée au sixième chakra, dans l’hindouisme, et elle évoque la connaissance de soi et la lucidité.
Mais ceci n’est qu’une hypothèse qu’il me faudrait vérifier avec elle !
Chantal Lévêque