Les univers du chat
« Le chat de Schrödinger » de Philippe Forest. Considéré comme l’un des principaux représentants de l’autofiction, Philippe Forest, né en 1962, a consacré plusieurs livres à la disparition de sa fille et au deuil. Dans son roman précédent, « Le siècle des nuages », il fait revivre l’histoire de sa famille. Il est aussi l’auteur de nombreux essais dont plusieurs sur le Japon.
(Gallimard, 330 pages, 19,90 €. Photo Catherine Hélie-Gallimard)
Malgré un titre renvoyant à un physicien célèbre, le dernier livre de Philippe Forest n’a rien d’un ouvrage scientifique. Il s’agit là plutôt d’une longue méditation poétique autour d’une expérience de pensée proposée en 1935 par Erwin Schrödinger, physicien autrichien lauréat du Prix Nobel.
Pour illustrer et surtout tourner en dérision la théorie de certains spécialistes de la physique quantique affirmant que la matière serait dans un état indéterminé au niveau de l’atome et de ses composants, Schrödinger avait imaginé la chose suivante : on enferme un chat dans une boîte hermétique équipée d’un dispositif aléatoire pouvant provoquer ou ne pas provoquer la mort de l’animal. Tant qu’on n’a pas ouvert ladite boîte, pour l’observateur extérieur, l’animal peut être aussi bien mort que vivant. En fait, raillait Schrödinger, en physique quantique il est les deux à la fois ! Hélas il est arrivé à ce bon Schrödinger ce qu’il advint à Fred Hoyle, partisan d’un univers statique et qui, pour se moquer des astrophysiciens partisans de la thèse d’un univers en expansion à partir d’une explosion initiale, qualifia ironiquement leur modèle de « Big Bang ».
Schrödinger dans l’infiniment petit et Hoyle dans l’infiniment grand, eurent en commun de voir leur idée, fruit de leur volonté de dérision, devenir le symbole de l’aberration scientifique qu’ils se proposaient de dénoncer.
N’en déplaise à Schrödinger, son chat est désormais une manière géniale de définir l’état d’incertitude dans lequel se trouvent les composants les plus élémentaires de la matière. A partir de cette sorte de fable des temps modernes, Philippe Forest établit des correspondances avec un vrai chat dont il observe les allées et venues dans son jardin. Un chat invisible dont on s’aperçoit qu’il était là au moment où il s’en va. Un chat fantôme, à l’image de la petite fille du narrateur morte dans la réalité, mais tellement présente dans ses rêves éveillés si bien qu’il ne sait plus si elle appartient au monde des vivants ou des morts
A l’image du chat qui va et qui vient, qui entre et qui sort, à la façon aléatoire et mystérieuse d’un électron libre autour de son noyau atomique, le narrateur traverse des mondes parallèles. Perdu dans son univers de souffrances et d’émerveillements, il erre à la recherche du petit être cher prisonnier d’un au-delà incertain. Peut-être dans l’espoir insensé de ramener l’enfant ici-bas après avoir ouvert la boîte noire du mystère de la mort et de la vie, car nous dit-il « les choses n’existent qu’à partir du moment où l’on décide de croire en elles ».
Christian Di Scipio