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Publié par Marie Bardet

"Le roi n'a pas sommeil" de Cécile Coulon, prix Coup de foudre 2012 des Vendanges littéraires.

(Editions Viviane Hamy, 143 pages, 17 euros)

Vous étiez encore un prénom, à peine un nom. Précédée d’une réputation de jeune prodige à faire frémir. Chaque époque cherche le sien et d’aucuns disaient qu’on l’avait trouvé, que c’était vous...

Vous ne m’étiez pas encore apparue sur un plateau de télévision. Et évidemment, je ne vous avais pas lue. Les prodiges ne sont pas exactement, comment dire..., ma tasse de thé.

Je n’avais pas surpris, donc, l’œil matois sous le casque d’or, les apostrophes aux coins des lèvres, les deux siphons au creux des joues. Je ne savais rien encore du front buté, du buste ployé sur les cuisses, rien de la tigresse prête à bondir hors du fauteuil cramoisi, votre cage de jeune fauve invité l’autre soir de la Grande Librairie, sur France 5.

Malgré les suppliques d’une amie libraire, auvergnate comme vous, exilée comme moi, qui vous ont repérées, vous et vos répliques cinglant l’air comme des lanières d’un fouet, j’ai fait mine quelque temps d’ignorer votre existence. Un prodige, pfffffuit, à moi on ne la fait pas — ce genre de choses.

Et puis je me suis calée dans mon fauteuil, pas cramoisi comme à la télé, plutôt pane de velours râpé du Bon coin, et je vous ai regardée. C’était un jeudi (aucune importance) et je m’en suis mis plein les yeux et plein les oreilles. L’important était dans le cadre. Charles Juliet, Frédéric Vitoux, Alain Mabancou,... pas des moindres. Vous, que je vous présente, vous êtes Cécile Coulon et votre dernier roman s’intitule “Le roi n’a pas sommeil”. Prodigieux !

François Busnel cherchait ses mots. Frédéric Vitoux lorgnait vos joues, et plus précisément ces deux fossettes d’une malignité inouïe qui siphonnent vos joues lorsque vous envoyez promener votre interviewer. “— Morbide ? Mais non, pourquoi ! — Fascinée par la violence ? Ah ! pas du tout. — L’Amérique ? Elle n’est pas citée, pas une fois.” Mais alors...

Ces âmes en perdition du côté de Haven, chef-lieu déglingue d’un improbable far-ouest, ramassé entre une scierie où les hommes s’entaillent le corps parfois jusqu’à la mort, et le Blue Budd, où les mêmes se défient au poker en enfilant du bourbon dans la puanteur des mégots. Le Blue Budd, où Thomas Hogan croise des filles “flétries d’avance” et des “types louches” qui leur tournent autour, “trop soûls pour s’attaquer aux cocottes de compétition”. Thomas est le fils de William et Mary. Il a hérité d’une propriété donnant sur des terres boisées d’une beauté pétrifiante où l’on n’a “pas le temps de mettre un nom sur chacun des animaux qui filent entre les arbres”. Ce paradis terrestre constitue pour l’enfant un pesant héritage, et ce n’est qu’après une métamorphose complète que Thomas pourra l’assumer, mais à quel prix...

Dans cette ville paumée soumise à un déterminisme puissant, le destin de Thomas semble écrit par avance. Avec Paul, l’amitié tournera court. L’amour ne tiendra pas davantage ses promesses. Mary est plus une mère qu’une femme, de celles qui ne se plaignent jamais et dont la grâce exacerbe la noirceur des hommes. Une femme “sublime” lâchée parmi les fauves. À tout moment, la violence mal étouffée, prête à surgir, et la justice qu’on fait soi-même à coups de hache.

Parmi les personnages du livre, il y a O’Brien, le médecin dévoué qui ne se décide pas à demander la main de la veuve alors qu’il en meurt de désir. “Longtemps, écrit Cécile Coulon, sa peau était restée calme et silencieuse comme un estuaire endormi”. O’Brien “n’a jamais été le genre de type à vouloir posséder ce qui l’entourait, il ne cherchait pas à acheter les objets ou l’estime des gens par l’argent, le chantage (...) il laissait aux êtres le temps de se construire, de répondre aux exigences morale que leur famille avait mises en place.”

Bon sang, O’Brien n’est pas noir et Haven n’est pas le Sud profond, pourtant il y a du Docteur Copeland dans ce gars-là. Et la jeune Mick se serait réincarnée en Cécile Coulon que je n’en serais pas autrement surprise. Elle en partage les “manières rudes et enfantines” (1) qu’elle distille dans un style d’une maturité saisissante. Une écriture “à l’os” pour reprendre l’expression de François Busnel sur ce plateau où la littérature, considérée depuis mon salon en velours d’occasion, a pris une claque.

Chère Cécile Coulon, je sais désormais que vous refusez toutes les étiquettes y compris celle du roman américain, en dépit de la citation de Steinbeck en ouverture de votre livre. Mais, Cécile, petite sœur de Carson Mac Cullers, promettez-moi : ne laissez plus votre cœur chasser en solitaire,... ou je ne réponds plus de rien.

Marie Bardet

(1) Extrait de “Le cœur est un chasseur solitaire”, de Carson Mac Cullers.

Cécile Coulon répond aux questions de Marie Bardet et Christian Di Scipio le 30 septembre aux Vendanges littéraires de Rivesaltes.

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