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Publié par Bernard Revel

Souvenirs de lectures : Michel Le Bris

« L’homme aux semelles de vent » de Michel Le Bris. Fondateur du festival des Etonnants voyageurs à Saint-Malo, Michel Le Bris a écrit un grand nombre de livres dont «La Beauté du monde » qui a obtenu le Prix des Vendanges littéraires 2008. L’illustration représente Michel Le Bris lors de l’émission « Apostrophes » du 14 juillet 1978, animée par Bernard Pivot.

(Editions Grasset, 1977. Réédité en poche dans la Petite Bibliothèque Payot)

En ce temps-là, le Breton Michel Le Bris vivait à Couffoulens, le village du chanteur occitan Claude Marti, à quelques kilomètres de Carcassonne. Ce spécialiste de jazz devenu directeur de la Cause du Peuple, journal de la Gauche prolétarienne, parti né dans la mouvance de mai 68, avait été condamné à huit mois de prison par le pouvoir gaulliste qui n’avait pas osé s’en prendre à Jean-Paul Sartre (« On n’arrête pas Voltaire », aurait dit de Gaulle). Libéré, prenant ses distances avec le milieu maoïste parisien, il était venu se ressourcer dans le Midi et s’était retrouvé au coeur des luttes que menaient viticulteurs et occitanistes. Elles lui inspirèrent quatre livres de combat qui donnèrent un grand retentissement à ces mouvements : « Occitanie : Volem viure » (1974), « Les fous du Larzac » et « Homme d’Oc » (1975), « La révolte du Midi » (1976).

En 1977, parait chez Grasset « L’homme aux semelles de vent » qui marque un nouveau tournant dans son itinéraire et est aussi son adieu au Midi. Essai philosophique appuyé sur des données autobiographiques et l’apport d’une vaste culture, ce livre est le fruit d’une réflexion profonde. Qui veut se connaître regarde du côté de ses propres racines. Celles de Michel Le Bris, quelque part en Bretagne, ont subi un premier choc avec l’irruption soudaine, dans les années cinquante, de la civilisation de la ville, apportée par les touristes parisiens. Soudain, le paysan breton, jusqu’ici épargné, a connu la honte. Honte d’être paysan, de sentir mauvais, honte de sa maison et de ses meubles. « Le temps était venu du rejet de soi-même, du dégoût ». Les filles ne pensèrent plus qu’à épouser un gars de la ville et les garçons révèrent de travail en usine. Le Bris, comme tant d’autres alors, criait : « Salauds de touristes ! »

Les paysans bretons ne faisaient que rejoindre dans la « modernité » toutes les catégories sociales rangées dans l’ordre impeccable des maillons d’une longue chaîne dont le cadenas s’appelait l’Etat. Comment en était-on arrivé là ? Les contemporains de Montesquieu n’y comprendraient plus rien. Tout, pourtant, explique Le Bris, est parti de ce 18e siècle qui engendra, en « un fantastique raccourci » Hegel et Hölderlin. « L’homme est un dieu quand il rêve, un mendiant quand il pense », écrivit ce dernier. Hegel, au contraire, faisait fi de « cette nuit que l’on aperçoit si l’on regarde un homme dans les yeux ». Il brandit la raison comme un étendard, la raison d’Etat bien sûr. Nietzsche aura beau appeler plus tard à « danser sur la tête », c’est la raison qui l’emporta. L’Etat devient l’ordre nouveau. Et l’homme dans tout ça ? Il n’a jamais été aussi malheureux qu’au 19e siècle dans sa condition d’ouvrier condamné à quinze heures de travail par jour. Les intellectuels pensent pour lui. A commencer par Marx et Engels qui « secouèrent furieusement le prunier Hegel ». Mais pas suffisamment au gré de Le Bris qui dénonce leur « chant d’amour à la grande industrie ».

Le Travail avec eux prend une majuscule et devient religion, moteur vital de l’Etat sacré. Une mission qu’exaltent les journaux révolutionnaires tels que « La Ruche » ou « L’Atelier ». Mais le peuple lit Eugène Sue, Frédéric Soulié. Il se retrouve dans « Les Mystères de Paris ». Le peuple parle à sa manière qui n’est pas celle des éducateurs acharnés à lui faire avaler cette loi de la machine : « Pour gagner sa vie, il faut la perdre ». A cela, Paul Lafargue, le propre gendre de Marx, répond par son dérangeant « Droit à la paresse ». Michel Le Bris abonde dans son sens. « Le travail est le plus terrible fléau qui ait jamais frappé l’humanité », dit-il avec lui. Il évoque avec tendresse les errants de tous les temps que la machine rejette mais ne réussit pas à mater. « Ils échappent à l’histoire », ceux-là, « sauf à celle de leur répression ». « Poètes, artistes, forains, théâtreux, toujours sur les routes, gens du voyage selon la sublime expression, ils apportent le rêve d’un ailleurs, d’une autre vie, à ceux qui ont choisi l’aveu, la demeure, le maître ». Ils retrouvent le peuple, ouvriers et paysans, dans la fête : les éclats de rire considérés comme autant de petits coups d’Etat.

Les seins nus d’une jeune fille défiant un ministre giscardien scandalisé un jour à Toulouse, illustrent bien la puissance de la dérision. L’arme du peuple, c’est « le grand rire carnavalesque ». Elle est toute entière, pour reprendre Nietzsche, dans « la gaieté et l’exubérance d’un grand Mardi gras de l’esprit ». Le Romantisme y a trouvé une part de son inspiration et le jazz en est l’une des plus belles expressions.

Sur un rythme de swing et en claquant des doigts, Michel Le Bris, après Rimbaud et tant d’autres, rejoint le monde sans frontières des hommes aux semelles de vent. Ce livre annonce le festival international des Etonnants Voyageurs qu’il créera en 1990 à Saint-Malo. Et c’est pour saluer un proche en hédonisme que les Vendanges littéraires de Rivesaltes décerneront leur prix 2008 à celui qui fut, par ces nombreux livres et sa vie, l’un de leurs inspirateurs.

Bernard Revel

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Citation d'un stagiaire au Festival Etonnants Voyageurs : "Gattaz l'a rêvé, Etonnants Voyageurs l'a fait." C'est dans les actes qu'on juge un homme, pas dans les écrits...
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