Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Bernard Revel

Claude Simon, Paul Pugnaud : signes de vie

« Le Cheval » de Claude Simon

Éditions du Chemin de fer, 95 pages, 14 euros

« Paul Pugnaud » par André Vinas

Publications de l’Olivier, Perpignan, 127 pages, 15 euros. Les œuvres de Paul Pugnaud sont éditées chez Rougerie.

Dans le hasard des parutions de livres se glissent d’étranges correspondances. Une nouvelle oubliée de Claude Simon peut ainsi faire écho à la réédition d’un essai consacré à Paul Pugnaud. Certes, l’abîme de la notoriété sépare l’œuvre du prix Nobel de littérature 1985 des recueils injustement confidentiels du poète de la mer et des espaces minéraux. Ceux qui connaissent l’un et l’autre ne seront cependant pas surpris qu’elles puissent parfois se confondre. Ainsi ces lignes puisées dans « Le Cheval » : « Par la fenêtre je pouvais voir au-dessus du toit violet de la grange d’en face, s’enténébrant peu à peu, s’enrobant d’ombre et de mystère, le grand sapin avec ses branches pendantes et chenues, insolite, noir, comme un vestige de la préhistoire, survivant des forêts englouties, des déluges dont les eaux en se retirant l’avaient laissé ainsi, encreux, sinistre, avec de longues barbes de mousse, ou d’algues s’égouttant lentement, courbant sous leur poids ses antiques branches ». Cette vision intemporelle de la nature décrite par Claude Simon est la source même de la poésie de Pugnaud qui la traduit à sa manière, très épurée mais aussi forte : « Cernés par les rafales / Nous errons sans savoir / Le vrai sens de la marche / Nos mains sont agrippées / Aux lianes et aux branches / Avant de se poser / Sur l’épaule des hommes » (« Le jour ressuscité »).

Paul Pugnaud est né en 1912 à Banyuls-sur-Mer, Claude Simon en 1913 à Tananarive. Tous deux sont orphelins de père, le premier avant sa naissance, le deuxième à dix mois. Leurs routes auraient pu se croiser à Perpignan où l’un a fréquenté le lycée Saint-Louis de Gonzague, et l’autre le lycée Arago pendant une seule année scolaire puisqu’à 12 ans il fut envoyé à Paris peu de temps avant la mort de sa mère. Si on peut relever dans leurs œuvres quelques points de rencontre, on ne saurait cependant les comparer, l’une restant ancrée dans à une exploration de plus en plus dépouillée de la nature indomptable, l’autre, bien inscrite dans son temps, décortiquant avec une extrême minutie la condition humaine livrée aux plus grands bouleversements.

Claude Simon en 1935 au 31e Dragons, Luneville.
Claude Simon en 1935 au 31e Dragons, Luneville.

Deux petits livres paraissant au même moment nous donnent l’occasion de réunir celui qui est connu et celui qui est méconnu. Les éditions du Chemin de fer sont allées dénicher dans la revue Les Lettres nouvelles de février 1958 un texte de Claude Simon qui donne une première idée d’un épisode de « La Route des Flandres », roman publié deux ans plus tard. Réfutant les « assertions» d’Alastair Duncan dans la Pléiade sur un texte jugé sans intérêt, Mireille Calle-Gruber, qui lui consacre une postface éclairante, le considère au contraire comme « un pur cristal taillé, facetté avec art ». Elle a raison. La nouvelle raconte la chevauchée fantomatique d’une colonne de soldats perdus dans la nuit noire, leur halte dans un hameau sous la pluie, leurs dialogues, l’agonie d’un cheval et leur irruption tragi-comique dans un drame familial. Des hommes qui vont sans illusion, nous le savons, vers la mort. Le narrateur n’est qu’un « cavalier dans la nuit, un soldat, c’est-à-dire rien, rien du tout, moins que rien dans cette immensité humide et nocturne », confronté comme des millions d’autres à « cette ignominieuse et désespérante flétrissure des hommes, du monde, installée, irrémédiable : la guerre ». Seul avec ses pensées ou échangeant des saillies plus ou moins spirituelles avec son copain juif Maurice sous les regards méfiants de leurs camarades qui n’y comprennent rien, le narrateur remplit son temps comme il peut pour chasser de son esprit le but tragique de cette absurde aventure où des hommes n’ayant rien de commun entre eux se retrouvent mêlés, « et jamais il n’y eut rien d’autre, même quand nous commençâmes à mourir ».

La maîtrise parfaite du style et du récit qui rend la lecture de ces quelques dizaines de pages captivante, montre à l’évidence que « Le Cheval », loin d’être une simple « ébauche » ou un « brouillon », a toute sa place dans l’œuvre de Claude Simon. « Ecrire, c’est ce qui ne meurt pas », conclut Mireille Calle-Gruber dans la postface. Dix ans après sa disparition, Claude Simon nous donne avec ce petit livre bleu un inestimable signe de vie.

Paul Pugnaud (à gauche) chez lui à Lézignan-Corbières, en compagnie d'André Vinas et René Depestre (à droite)
Paul Pugnaud (à gauche) chez lui à Lézignan-Corbières, en compagnie d'André Vinas et René Depestre (à droite)

Et vingt ans après sa mort, Paul Pugnaud nous revient, quant à lui, sous la forme d’un livre d’André Vinas. Puisant dans un précédant essai publié chez Subervie en 1982, celui qui devint son ami dans les années cinquante, trace le portrait attachant d’un homme autant « semblable à son œuvre » que « son œuvre est semblable à lui ». De l’ancien livre il a gardé la préface d’Armand Lanoux, bien qu’il préfère à sa vision d’un poète qui « se cramponne à l’immobilité », celle du « voyageur immobile » donnée par Frédéric-Jacques Temple. Il a gardé aussi les poèmes inédits et ajouté un texte de Paul Pugnaud sur ses rencontres avec Maillol ainsi qu’un extrait d’interview.

En revanche, André Vinas a raccourci et modifié son propre texte de 1982. Et, malheureusement, il ne dit rien ou presque des recueils parus ensuite ni de ceux qui, grâce à Sylvie Pugnaud, ont continué de paraître après la mort du poète. « Quand l’ami s’en est allé où nous ne pouvons plus l’atteindre, où nous ne pouvons plus l’entendre,… où les mots ne sont plus prononcés, alors ne nous étonnons pas que l’amitié s’enveloppe de peine et rende le discours plus difficile, qu’il faille faire effort pour vaincre le silence, seulement parce qu’il est nécessaire que le silence, apparût-il légitime, ne conduise pas à l’oubli ». Cet aveu poignant d’André Vinas nous rappelle que la tâche est inachevée et que la lutte contre l’oubli passe par la réalisation d’une étude complète qui rendrait justice à l’œuvre de Paul Pugnaud.

Bernard Revel

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article