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Publié par Bernard Revel

Il me semblait, par moment, qu’il allait apparaître, lentement, sur son vieux vélo avec, à l’arrière, une baguette de pain dépassant de la caisse posée sur le porte-bagages. Je lui aurais dit : « Henri, te voilà enfin, on n’attendait plus que toi. » Il aurait eu ce rire de bon vivant qui épanouissait si souvent son visage lorsque nous disions des bêtises mais il ne se serait pas arrêté. Pourtant, son copain Echenoz était là, dans un coin de la place avec Irène Lindon, la patronne des éditions de Minuit, et nous aussi et tous les autres. Je l’aurais suivi des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse après être passé devant « La clef des champs » où il venait s’asseoir l’an dernier encore, attentif, du coin de la terrasse et tout en devisant avec quelque ami, au flot verbal d’un écrivain sous le platane. Mais non, on ne le verra plus.

Et l'on ne verra plus Claude promener sa longue carcasse au bras de Catherine ou s’appuyant sur notre épaule comme un héros de western blessé. Gary Cooper cadre à Air France, « un Gary Cooper qui avait aussi un côté Woody Allen », c’est ainsi que le décrit Jacques Quéralt pour montrer le contraste entre l’homme et sa brillante carrière au sein de la compagnie aérienne. Henri Lhéritier et Claude Delmas, l’un vigneron, l’autre juriste, mais tous deux, avant tout, écrivains.

Irène Lindon, directrice des éditions de Minuit, et Jean Echenoz.

Les Vendanges littéraires de Rivesaltes qu’ils avaient créées avec quelques autres en 2003, ont écrit le quatorzième chapitre de leur histoire en se référant sans cesse à eux qui n’étaient plus là. C’était comme si leur esprit planant au-dessus du platane avait donné aux auteurs et au public un désir de partage qui s’était peut-être émoussé ces dernières années.

Dès le premier jour, la présence discrète de l’écrivain Jean Echenoz avait quelque chose d’une apparition. Lauréat des Vendanges littéraires 2012, l’un des meilleurs écrivains français de ce temps, avait tenu simplement à être là, en hommage à Henri, en souvenir des bons moments vécus à Rivesaltes et pour soutenir aussi, avec Irène Lindon, le dernier né de l’écurie Minuit : Yan Gauchard, prix Coup de foudre.

Yan Gauchard avec Carole Vignaud et Chantal Lévêque

Quand on est journaliste de la presse régionale et qu’on voit son premier roman accepté par une maison aussi prestigieuse, on a l’impression de vivre un rêve. C’est ce qu’a expliqué Yan Gauchard avec beaucoup de modestie et l’enthousiasme de quelqu’un qui n’en revient pas. Comme Annunziato, le personnage de son roman, Yan Gauchard est un cas. Aucune prétention, rien de pontifiant chez lui. Mais ses propos laissent percer sous sa juvénile bonhomie et son émouvante sincérité, un écrivain exigeant qui a mis 12 ans pour venir à bout d’une histoire habilement construite avec humour et finesse.

David Foenkinos avec Sylvie Coral et Christian Di Scipio

De David Foenkinos, prix des Vendanges littéraires, aussi jeune que Yan Gauchard mais dominant tout le monde du haut de ses boucles brunes, on pouvait craindre quelque pose blasée d’un habitué du succès. « La Délicatesse », « Les Souvenirs », « Charlotte » lui ont donné une célébrité qui aurait pu déteindre sur son comportement. Pas du tout. Il est venu vers nous avec le plus grand naturel, ouvert, franc, spirituel, répondant le plus clairement possible aux questions posées sous le platane.

Si Henri Pick, longuement évoqué, a gardé tout son mystère, afin de préserver l’intérêt des futurs lecteurs du roman, c’est avec le destin tragique de Charlotte Salomon que David Foenkinos a laissé percer et a partagé son émotion. Un personnage réel qui l’a longtemps accompagné et continue de vivre en lui. Une preuve éclatante que la littérature, à ces hauteurs-là, ne laisse personne intact. Telle est la trace qui, à quelques kilomètres du Mémorial de Rivesaltes, restera du passage de Foenkinos.

Didier Goupil avec Michel Gorsse et Bernard Revel

Avec Didier Goupil, prix Jean Morer, le ton a changé, plus théâtral sous les accents d’une voix grave et sonore. L’auteur du « Journal d’un caméléon » semble possédé par ses personnages, Roger Cosme Estève dans celui-ci, Madame dans « Traverser la Seine » ou le collectionneur dans « Les tiroirs de Visconti ». Chaque livre s’est imposé à lui, surtout celui qu’il a consacré au peintre catalan dont le nom a surgi d’une citation de Fernando Pessoa comme un déclic. Soudain, dans sa tête, le livre était fait. « Il ne restait plus qu’à l’écrire », ajoute ce passionné dans un sourire avant de définir d’un seul mot son propre travail : non pas l’autofiction mais « l’autruifiction ». Car le caméléon, c’est lui.

Au centre, Jean-Louis Coste et Jacques Quéralt

Après ces trois lauréats si différents mais, chacun dans son registre, si sincères, les Vendanges littéraires ont, d’une certaine manière, pansé les plaies ouvertes par la mort qui les a touchées de près. Fallait-il continuer sans Henri ? Nous nous sommes posé la question dès le 20 mars. Et la réponse nous fut évidente. Oui, bien sûr. Pour lui, pour qu’il soit toujours présent dans les mémoires. Et quand, six mois plus tard, Claude Delmas à son tour, a tiré sa révérence, nous savions que nous étions dans le vrai en donnant, à notre façon, vie à leur œuvre. Jean-Louis Coste et Jacques Quéralt, l’un avec la simplicité du témoignage, l’autre avec une érudition submergée d’émotion, nous ont éclairés sur les multiples facettes de Claude. « Disparition des Pyrénées-Orientales », métaphore de sa propre disparition, selon Quéralt, « travail sur la mémoire », est un inestimable cadeau d’adieu. Un adieu que la mort a interdit à Henri et auquel le jury a voulu donner forme en lisant ses petites chroniques et en criant, pendant que « La Traviata » entonnait « Libiamo» : « A la tienne, Henri ! »

Du monde, de l’émotion, de beaux lauréats : elles furent exceptionnelles, ces Vendanges.

Bernard Revel

Un apéritif offert à tous a clôturé ces Vendanges de l'émotion.

Un apéritif offert à tous a clôturé ces Vendanges de l'émotion.

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