L'envoûtant Japon de Didier Decoin

Né en 1945, Didier Decoin a écrit depuis 1966 une trentaine de romans ainsi que des essais. Il a obtenu le prix Goncourt en 1977 pour «John l’Enfer». Il mène parallèlement une carrière de scénariste pour la télévision et le cinéma.
Si vous avez un jour rêvé de faire, en douceur, une expérience de télékinésie, avec « Le Bureau des Jardins et des Etangs », dès les premières lignes, vous allez vous transporter, tous les sens en éveil, dans un Japon médiéval aussi brutal que raffiné, aussi surréaliste que kafkaïen.
Vous allez vous attacher, amoureusement, sensuellement, à Amakusa Miyuki, cette porteuse de palanche qui sent « la rivière, l’argile mouillé des carpes et l’odeur poudrée, boisée, violette, des iris des berges ». Vous allez l’accompagner dans son périple jusqu’à la capitale de l’Empire où elle doit livrer les carpes sacrées pêchées par son mari défunt, Katsuro, dont le fantôme ne cesse de lui donner du plaisir.
Ainsi sur ses pas, d’auberge en auberge, vous vous familiariserez, jusqu’à la complète immersion, avec ce Japon tout en volutes d’encens et en effluves putrides. Et vous serez là, étrangement à l’étroit, à « l’auberge des deux lunes dans l’eau » quand Miyuki va pour la première fois rencontrer Nagusa Watanabe, le vieux directeur du « Bureau des Jardins et des Etangs » et que celui-ci, en position de coït non accompli, ne sachant si elle embaume ou empeste, va déceler sur sa peau « un fumet sauvage, un relent de forêt, d’herbes froissées, de terre détrempée, de tanière ».
Et par le plus grand des hasards, vous serez vous aussi convoqué pour participer au Kakimono awase, le grand concours de parfums, décidé par l’Empereur, un jeune homme, dont le thème est de composer un encens qui restituerait « les effluves d’une demoiselle qui, surgie du brouillard noyant un jardin, franchit un pont en dos d’âne pour rejoindre un autre jardin tout aussi noyé de brume que le premier ».
Pour peu que vous ayez la narine sensible, voilà un roman surprenant, étourdissant de finesse, qu’on pourrait presque lire en fermant les yeux et en humant. Une envoûtante prouesse. Capiteuse.
Michel Gorsse