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Publié par Bernard Revel

« Les vêpres siciliennes » par Henri Lhéritier

Editions Trabucaire, 254 pages, 15 euros. Depuis la parution en 1999 de "Crest et Romani. Œnofolie en Catalogne Nord", Henri Lhéritier, au rythme d'un livre tous les deux ans, construit, dans un style baroque, une œuvre où se donnent libre cours sa verve réjouissante et sa puissance imaginative. Entre autres : "Agly", "Autoportrait sauvé par le vent", "Requiem pour Mignon", "Moi et Diderot (et Sophie)". Henri Lhéritier est membre du jury des Vendanges littéraires.

Tout le monde va à Paris. Même Henri Lhéritier. Mais quand Henri Lhéritier va à Paris, ce n’est pas le voyage de tout le monde. Ce qu’il voit dans la capitale, vous ne risquez pas de le trouver dans le Guide du routard. Pourtant, il visite des lieux que nous connaissons tous, le musée d’Orsay, Saint-Germain, Notre-Dame, Montmartre, mais il suffit qu’il s’y trouve pour que les sentiers battus se transforment en champs de tous les possibles et impossibles où les époques, les personnages réels ou fictifs, les anges et les démons s’entrechoquent, se livrent bataille, meurent et ressuscitent. Certains ont des tempêtes sous leur crâne, chez Henri Lhéritier, il faudrait plutôt parler de rut des Béhémots ou de maelströms épais. Il dit ne pas aimer la poésie mais il y a quand même dans sa façon d’écrire un côté « bateau ivre » qu’il ne peut nier. Là réside la force de son talent nourri au feu intérieur qui nous consume tous et qu’il sait, lui, mieux que personne, transformer en littérature, cette fermentation de la mémoire qu’il évoque à la fin du voyage en digérant des maquereaux au vin blanc à la Pomponnette, restaurant montmartrois où, jadis, tout avait commencé avec S.

Ah, S., la femme de sa vie, discrète compagne de voyage, quelle reconnaissance, quelle tendresse et, disons-le, quel amour, elle lui inspire à mots pudiques et plus ou moins couverts. Reviendrait-il de ses voyages hallucinés, si elle n’était là, rassurante, la main tendue ? Son garde-fou en quelque sorte. Ces « Vêpres siciliennes » ont beau plonger dans le tourbillon d’une fiction échevelée, elles ne sont rien d’autre, comme tout bon roman, que du vrai transformé en imaginaire. Le voyage à Paris a vraiment eu lieu. Henri Lhéritier, accompagné de son épouse, a vraiment donné une conférence sur Pierre Benoît à la Sorbonne, il a vraiment passé une soirée avec Jean Echenoz chez Claude Delmas. Il le raconte. Non pas à la manière d’un journaliste mais en écrivain qu’il est jusqu’au bout des ongles.

Alors, il exagère, il invente, il prend à témoin Claudel, Harold Lloyd, Laurent de la Hyre, qui il veut, il les convoque, les engueule, se prend pour eux, il voit passer des personnages de romans, le Béliard sorti des « Grandes blondes » d’Echenoz, il fait chanter du Boby Lapointe à un troubadour. Il détruit. Il aime bien détruire, Lhéritier. C’est un iconoclaste, il y a en lui, du sans-culotte, du communard, du guerrier de Daesh. Dans de précédents livres, il avait rasé le Castillet, saccagé la librairie Torcatis. Cette fois, c’est Notre-Dame qui y passe. Des personnages déchaînés surgissent des toiles où ils sont peints depuis des siècles, à pied ou à cheval, et c’est le carnage, viols, décapitations et j’en passe. Des gitans rencontrés dans le TGV, des sénateurs, les amis de Pierre Benoît, les apôtres eux-mêmes en décousent avec frénésie. Le voyage à Paris vire à l’apocalypse.

N’allez jamais à la messe avec Henri Lhéritier. On le croit recueilli sur son banc à côté de S. mais dans sa tête, tout est à feu et à sang. Des vêpres oui, mais siciliennes, voilà ce que lui inspire la douce musique de Monteverdi mêlée aux tableaux qui l’entourent : une vieille révolte du peuple de Palerme contre des Français se déroule sous ses yeux. C’est féroce, truculent, irrésistible. Claudel et Hugo peuvent aller se rhabiller. L’auteur du « Soulier de satin » avait trouvé la foi au pied d’un pilier de Notre-Dame. Lhéritier croit un moment y perdre S. Elle a disparu et là, il ne fait plus le fier. « C’en est trop, écrit-il, qu’elle m’ait quitté ou pas, je suis décidé à mourir avec elle, à mourir pour elle. La seule chose de moi qui tient un peu le coup, c’est elle. Je sais bien qu’en dehors de S. je ne suis rien… Je lui dois tout, de ce que je suis à ce que je parais être. » On sent qu’ici il n’y a point de moquerie. C’est le cœur qui parle. Plus loin : « A quoi bon une vie sans elle !... S. est ma drogue ». Bien plus que le sancerre qui coule à flots dans ce récit. Et lorsqu’il la retrouve, tout recommence. Il lui raconte les vêpres comme s’il y était. « Tu m’écoutes S. ? » Il se dit qu’il la « rase souverainement ». Mais ça ne fait rien, il continue. Il est heureux.

Car chez Henri Lhéritier, si on cultive l’outrance, si la société est objet de dérision, si on ne prend pas grand-chose au sérieux, si le sexe est une source joyeuse d’inspiration, il existe un jardin secret qui ne prête ni au rire ni à la moindre déformation : c’est celui des sentiments. Autant il peut décrire avec force détails désopilants, en se moquant en premier lieu de lui-même, sa conférence peu orthodoxe sur Pierre Benoît, ses visites au musée et au Sénat, sa confrontation avec la statue de Diderot, l’achat de chaussures, les hordes de touristes dans le métro ou une soirée dans un restaurant coréen, autant il devient timide et sérieux dès lors qu’il s’agit d’exprimer son amitié, son estime ou son amour.

S’il y a une foi en lui, ce n’est pas sous un pilier de Notre-Dame qu’il l’a trouvée. S’il est saint quelque part c’est dans sa dévotion envers quelques élus de son cœur et les pensées qu’ils lui inspirent. Claude Delmas : « Je lui dois beaucoup, je continue à écrire grâce à lui et à ses encouragements ». Jean Echenoz : « Je le regarde avec bonheur. Ses romans défilent sous mes yeux et maints de ses personnages passent devant moi en m’adressant des signes de reconnaissance ». Plus tard, lorsqu’ils se séparent : « Je regarde partir ce porteur de littérature et je suis ému ». Enfin, S. encore et toujours : « Je ne me lasse pas de la regarder, elle m’enivre. Je sais ce que c’est que l’amour. J’ai lu tous les romans. Elle me passionne mille fois plus qu’Anna Karénine. Comment pourrais-je mieux dire ? »

« Les Vêpres siciliennes » c’est avant tout un roman d’amour.

Bernard Revel

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