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Publié par Vendanges littéraires

L’homme qui n’avait plus la tête sur ses épaules

« Corps désirable » de Hubert Haddad

Editions Zulma, 176 pages, 16,50 €. Début septembre paraît chez le même éditeur un roman « japonais » d’Hubert Haddad : « Mâ ». Nous en rendrons compte prochainement. Lauréat 2015 du prix des Vendanges littéraires, Hubert Haddad sera à Rivesaltes les 3 et 4 octobre prochains

L’homme qui n’avait plus la tête sur ses épaules

Hubert Haddad ne craint pas de nous raconter des histoires. Animateur d’atelier d’écriture, il connaît le pouvoir de l’imaginaire et des images*. Et quoi de plus fort en 2015 que l’image d’une décapitation. Mais Hubert Haddad est aussi rarement là où on l’attend. Ici, l’homme sans corps est un journaliste devenu tétraplégique après avoir pris un mât sur la tête de manière, apparemment, très accidentelle. Fils renégat d’un capitaine d’industrie, il vit sous une fausse identité et pourfend les magouilles des grands groupes pharmaceutiques. Un œdipe très assumé, en somme. Amoureux d’une belle et très libre correspondante de guerre, il s’apprête d’ailleurs à lui demander un engagement plus sérieux, lorsque le ciel (et une poutre) lui tombe sur la tête. Lorsqu’il se réveille dans un lit d’hôpital, il a perdu l’usage de son corps.

Hubert Haddad utilise ici tous les ressorts du « roman à l’eau de rose » (et c’est assez drôle) pour mieux nous entortiller et nous contraindre à nous poser les bonnes questions : suis-je juste un cerveau? Quelle part mon corps prend dans la constitution de mon identité ? Car son héros va se voir offrir un nouveau corps (avoir un papa, même détesté, patron d’un grand groupe pharmaceutique permet toutes les fantaisies). Surtout quand une équipe de chirurgien court après le Nobel et ose l’impensable : décapiter un homme pour le sauver.

Et après ? Vivre avec le corps d’un autre n’est pas si simple. Cédric Allyn-Weberson, la tête donc, celle qui dit « je », jalouse son nouveau corps (dont il ne connaît pas l’identité) lorsque son amie Lorna semble prendre un peu trop de plaisir avec lui. Il va entreprendre de mener l’enquête pour savoir qui est ce nouvel homme avec un corps tatoué et un sexe trop fonctionnel. Un voyage pour faire le deuil de lui-même. Sans dévoiler la fin de ce conte plus psychanalytique que philosophique, Cédric va se perdre en route.

Hubert Haddad, l’ex-petit immigré tunisien débarqué à Belleville et Ménilmontant dans les années 50 avec une mère souffrant de trouble de l’identité (il en parle dans « Le Camp du bandit mauresque » (Fayard, 2005) ne peut pas voir autre chose qu’une perte dans cette renaissance chirurgicale. D’autres comprendront moins les affres de Cyril, ceux qui savent ce que c’est que de faire le deuil de leur corps petit à petit : ça s’appelle la vieillesse. Et parfois la maladie.

Comme dans tous ses autres écrits, Haddad emporte loin sur les ailes d’un imaginaire maîtrisé et stylisé car il n’existe guère « un récit, une nouvelle ou un roman qui ne soit pas subrepticement poème»**. L’autre mot pour désir.

Carole Vignaud

*On lui doit une sorte d’encyclopédie de l’art d’écrire offrant d’innombrables jeux littéraires inédits (« Le Nouveau Magasin d’écriture », Zulma, 2006) suivi en 2007 du « Nouveau Nouveau Magasin d’écriture », ce dernier voué à l’imaginaire à travers deux cents gravures choisies pour leur pouvoir d’évocation.

** Dixit Hubert Haddad à Étonnants Voyageurs.

*** La photographie d'Hubert Haddad est de Sophie Bassouls. Elle est extraite de la couverture de la revue Brèves, anthologie permanente de la nouvelle, dont le n° 97 est entièrement consacré à l'écrivain. Comme chaque année, les responsables de Brèves tiendront un stand aux Vendanges littéraires.

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