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Publié par Bernard Revel

Photo Hubert Beauchamp
Photo Hubert Beauchamp

« Maman aime danser » de Didier Pobel

Éditions Bulles de savon, 67 pages. Couverture joliment illustrée par Chiara Fedele.

Ancien éditorialiste du Dauphiné Libéré, Didier Pobel vit dans les environs de Bourg-en-Bresse. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes dont « Liaisons intérieures et autres lignes » (Prix Kowalski 1990), d’un roman, « Couleur de rocou » (Le temps qu’il fait, 2012) et d’un récit autobiographique, « Un beau soir l’avenir » (La Passe du Vent, 2014). En même temps que « Maman aime danser », il publie un livre pour les plus petits : « Couleur Cerise ».

Didier Pobel sera aux Vendanges littéraires de Rivesaltes les 1 et 2 octobre. Il dédicacera son livre au stand de la librairie Torcatis.

Tu sais que maman aime beaucoup danser

Les grands disent parfois des choses bizarres. Même les papas. Il s’en rend bien compte, Tom, tout petit qu’il est. Enfin, pas si petit que ça. Il ne sait pas encore lire mais il va à l’école, alors ce n’est plus un bébé. Aussi, ce matin-là, un lundi de novembre, il voit bien que rien ne se passe comme d’habitude. D’abord, au lieu d’être en classe, il reste chez mamie Léa où il a passé le week-end. Mamie l’avait réveillé dans la nuit de vendredi à samedi et l’avait amené chez elle parce que « papa doit partir », avait-elle dit. Elle n’était pas dans son assiette, mamie. Elle n’avait même pas regardé Michel Drucker à la télé. Par moment, elle s’enfermait dans la cuisine et reniflait fort. Elle avait dû prendre froid. Elle sursautait quand le téléphone sonnait, elle écoutait la radio en sourdine.

Mais ce qui a le plus frappé Tom, ce lundi-là, ce sont les mots de papa : « Tu sais, Tom, que maman aime beaucoup danser » et c’est tout. C’était comme s’il n’avait pas pu continuer la phrase. Bien sûr qu’elle aime danser, maman. Il est bien placé pour le savoir, Tom. Elle danse souvent à la maison, devant lui ou en le prenant dans ses bras, avec papa aussi, en écoutant de vieilles chansons comme « Quand on n’a que l’amour » et même des rocks parce qu’ils aiment ça tous les deux. Et puis, certains jours, ils laissent Tom chez mamie et vont applaudir des groupes quelque part. Oui, ce lundi-là n’est pas comme les autres. Même dans la rue, il n’y a pas de bruit. « On aurait dit que le monde s’était étouffé en mangeant ses corn-flakes... C’était comme s’il était tombé quelque chose du ciel ».

Des grands qui se parlent à voix basse, qui le serrent un peu trop fort dans leurs bras en répétant « mon petit Tom-Tom », papa qui a les yeux rouges et disparaît sans dire où il va. Et maman qui ne rentre pas. Elle est sortie seule vendredi soir. « Dors bien, papa va rester là », avait-elle dit à Tom dans son lit. Elle était allée danser ou écouter de la musique. « Elle rentre quand, maman ? » « Bientôt », lui dit papa. Un bientôt qui ne rassure pas l’enfant : « La peur déposait des petits paquets en moi que je promettais d’ouvrir plus tard ».

Par petites touches, nous suivons le cheminement intérieur d’un enfant qui note, dans un quotidien que les grands tentent de préserver, les signes d’un changement irrémédiable. Nous sommes à Paris en novembre 2015.

Devenu romancier après une brillante carrière de journaliste souvent cité dans les revues de presse, Didier Pobel, fidèle compagnon des Vendanges littéraires, aborde un événement tragique qui a bouleversé la France et fait les gros titres de la presse, avec le regard du poète qu’il est depuis toujours, lui qui obtint le prestigieux prix Kowalski en 1990. Rien de sensationnel, pas de grandiloquence dans ce court récit destiné à la jeunesse mais qui ne peut laisser aucun lecteur indifférent, quel que soit son âge. La note juste, tout simplement.

Bernard Revel

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