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Publié par Sylvie Coral

A chaque sortie d’un nouveau roman d’Anna Gavalda, je ne peux m’empêcher de l’acheter. Je vais m’expliquer mais avant, je voudrais dire autre chose. Chaque fois que je lis cet auteur ou entends prononcer son nom, je pense invariablement à Sylvie Lainé. Quelle étrange association d’idées, me direz-vous.

Sylvie, journaliste chevronnée, plume délicate et talentueuse, nous a scandaleusement quittés en février dernier. Juste avant de partir, elle nous a demandé de ne pas pleurer car, si elle était absente de son corps, elle était désormais dans « les mille vents qui soufflent », « la douce pluie d’automne », « la lumière qui traverse le champ de blé » … C’était elle la consolante. Nous lui devons de la croire.

Sylvie, dont l’armure était si difficile à fendre, était d’une grande bienveillance à l’égard des écrivains. Elle se qualifiait elle-même de « bon public ». Ses goûts étaient éclectiques et elle les assumait tous, les défendant sincèrement et fermement. Au sujet d’Anna Gavalda, nous étions du même avis. Sans doute aurait-elle lu ce tout dernier, le recevant en service de presse, et peut-être l’aurait-elle chroniqué dans le quotidien régional. Nous ne saurons jamais ce qu’elle en aurait dit.

 

« Fendre l’armure » est un recueil de sept histoires dont les personnages principaux ont tous en commun d’avoir enfermé leur fragilité à double tour, sous une tonne de béton, pour mieux donner le change. La jeune Ludmila, vendeuse dans une animalerie, croise incrédule l’amour courtois alors qu’elle s’était persuadée qu’elle ne méritait pas de « fricoter plus haut que son cul ». Une jeune veuve, maman de deux enfants, refoule crânement son récent problème avec l’alcool. Jeannot, le camionneur, orphelin de son fils, se raccroche à un vieux chien en fin de vie pour ne pas sombrer. Les fondations de Pierre, expert en bâtiment, se mettent à trembler à cause d’une carte Pokémon. Une nouvelle fois, Anna Gavalda nous mène du rire aux larmes et il est vain de lui opposer la moindre résistance. « Et de sourire enfin me permettait de pleurer enfin. Pas de la petite larmichette amère comme à l’instant d’avant ou au café le matin même, mais de bonnes grosses larmes bien rondes, bien grasses et bien chaudes. Du corps qui lâche. De la dureté qui cède. Du chagrin qui fond. »

L’écriture caméléon d’Anna Gavalda mue selon la personnalité, l’âge, le milieu social, le genre de ses personnages. Cela leur confère encore plus de réalisme et de chair. Elle entretient avec ses lecteurs, depuis son premier ouvrage, une relation de proximité complice et d’empathie, précieuse et infalsifiable en dépit des tentatives d’autres auteurs.

Née en 1970, élève d’hypokhâgne et professeur de lettres, Anna Gavalda est l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles dont « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part » (1999), qui a rencontré un énorme succès. « Ensemble c’est tout » et « Je l’aimais » ont été adaptés au cinéma. Certes, Anna Gavalda ne fait pas l’unanimité, mais quelqu’un m’a dit que justement, il fallait commencer à se méfier quand la critique était unanime.

Et toi, Sylvie, chère absente, qu’en penses-tu de ce « Fendre l’armure » ?

 

Sylvie Coral

 

« Fendre l'armure » - Editions Le Dilettante – mai 2017 – 285 pages (dont la dernière avec cette mention sibylline : « Esprit d’Henri, je te remercie ».)

L'illustration du haut est un tableau de Heinrich Vogeler : Sehnsucht.

 

 

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