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Publié par Bernard Revel

Met Barran. Le choix de ce nom pour son blog lui ressemble. Une façon d’avancer masqué avec, toutefois, des indices permettant de l’identifier. Met pour Jaumet ou Jaume donc Jacques. Et Barran parce que c’est le village du Gers où il est né en 1941. Ainsi était Jacques Queralt. Au lycée Arago, ses copains l’appelaient Santiago. Ce n’était point une manifestation précoce de sa fantaisie mais le prénom inscrit sur son acte de naissance, lui le fils de républicains espagnols venus en France en 1939 dans le flot de la Retirada. Santiago, Jaume, Jacques, un même prénom sous trois formes qui rappellent ses racines mêlées tout en lui donnant sans doute le goût des pseudonymes farfelus dont fourmille son blog : C. Ahvouar, Robert Ledistant, Bob Levoyeur, Réginald Lemors-Sandan, Albert Paret de Cairons, pour n’en citer que quelques-uns. 

Commencé en février 2008, le blog de Met Barran s’est brusquement interrompu le 21 octobre 2019 par ces mots : « Le geôlier est-il jaloux des rêves de son prisonnier ? » Interrogation énigmatique illustrée d’un collage représentant une silhouette sombre semblant s’envoler sur une feuille de vigne. Dernier message suivi d’un long silence qui inquiétait ses fidèles lecteurs, informés ou non de sa maladie, jusqu’à ce dimanche 19 avril apportant la triste nouvelle d’un « jamais plus ».

Jacques Queralt était un « phare » culturel dans cette région qui en compte peu. Sa lumière nous guidait dans nos choix, ouvrait notre esprit et nous rendait plus intelligent. Son blog, gisement littéraire que devraient se disputer les chercheurs de pépites s’il en reste encore dans le monde de l’édition, est désormais le seul lien qui nous reste avec ce penseur tous azimuts. S’exprimant aussi aisément en catalan qu’en français, dans un mirobolant méli-mélo de styles, de textes brefs ou très longs, de présentations et de comptes rendus, jouant autant avec les mots qu’avec les caractères d’imprimerie, Jacques Queralt nous lègue le reflet le plus complet et le plus subjectif d’une décennie pendant laquelle rien de ce qui était digne d’intérêt ne lui a échappé.

Si ses nombreux articles destinés à sortir de l’oubli le musicien né à Perpignan François de Fossa, expriment sa passion pour la vie et l’œuvre du « Haydn de la guitare », ses centres d’intérêt vont bien au-delà. En piochant au hasard des pages, quel plaisir de revivre avec lui sa première rencontre avec Léo Ferré au casino de Canet-plage, de déguster son gentil coup de gueule quand 23 journalistes quittent l’Indépendant devenu marchandise pour groupes de presse, de partager son émotion lorsqu’il rend hommage à des artistes disparus qui furent ses compagnons de route : le chanteur Joan Pau Giné, « l’homme de liège » Claude Massé, Jordi Barre l’enchanteur, les écrivains Henri Lhéritier et Claude Delmas, etc.

Si Met Barran ne manquait jamais d’inspiration pour « pisser de la copie », il excellait aussi dans le bref, livrant presque quotidiennement aphorismes, sentences, haïkus de toutes sortes. Ses formules inclassables semblaient jaillir d’une imagination qui jouait sur les registres de la poésie, de l’humour et du délire, comme si, en lui, s’affrontaient Delteil, Bausil et Dali. Les uns percutants, marrants, limpides, d’autres plutôt absurdes, nébuleux, déconcertants, ces petits bijoux collent au portrait que fait l’écrivain Joan Daniel Bezsonoff Montalat de leur auteur : « Comme Emil Cioran, il avait bu toutes les liqueurs de la mélancolie, mais il le cachait avec la classe d’un Cary Grant, un humour poignant qui devait tout à la discrétion ».

Avec émotion je plonge depuis quelques jours dans les pages du blog et c’est du pur Queralt qui remonte à la surface : 

- « Combien de mots parvenus à la pointe de notre langue, hésitent et font marche arrière pour ne pas blesser, séduire ou tromper ? »

- « Je ne vous cacherai pas que je suis le tout premier à me hérisser de ce que j'écris, mais admettez que c'est la preuve que notre bête a encore du poil ».

- « C'était mieux avant. Mais, que diable ! pourquoi ne nous l'a-t-on pas seriné quand nous y étions dans cet antan du temps ».

- « Dès que tu as l'impression que ton écriture rame, ne t'interroge pas sur les causes de cette fatigue, change de papier. Tu avais dû choisir une feuille de pacotille ».

- « Le sapeur a peur et la peur du sapeur fait peur à sa sœur. Que faire ? »

- « Si tu es victime d’un regard fuyant, un seul conseil, ne le poursuis pas ! »

- « Ma face cachée nie les neuf-dixièmes de ma face montrée. Et je ne vous en avoue pas plus. »

- « Si la neige croyait au ciel, elle ne se détacherait pas d’un palais si haut perché ».

- « Une moquerie dans le dos fait plus de mal qu'une plaisanterie en face ».

- « Il serait faux de penser que l'on se dissimule pour s'effacer ».

« C’est parce qu'actu rime avec cul que j'en détourne mon regard et m'arrime fortement à hier qui rime avec bière ».

- « J’aimerais offrir un costume flambant neuf à un ami, hélas, je m’aperçois que je n’ai pas une seul ami ».

Non, Jacques, Jaume, Met, Santiago : tu te ruinerais en costumes neufs si tu devais les offrir à tous tes amis.

Bernard Revel

Photos du haut : Jacques Queralt (debout à gauche) dans le bureau de la rédaction locale de l'Indépendant avec Michel Badrignans, Michel Demelin, Pierre Gadel et Jean-Claude Marre (de gauche à droite). Le trio auteur du livre qui a sorti la Retirada de l'oubli en 1981 : Jacques Queralt, René Grando au centre, Xavier Febres à droite. Ci-dessous, de gauche à droite, Bernard Revel, Jean-Louis Coste, Jacques Queralt et Christian Di Scipio aux Vendanges littéraires de Rivesaltes en 2016.
Photos du haut : Jacques Queralt (debout à gauche) dans le bureau de la rédaction locale de l'Indépendant avec Michel Badrignans, Michel Demelin, Pierre Gadel et Jean-Claude Marre (de gauche à droite). Le trio auteur du livre qui a sorti la Retirada de l'oubli en 1981 : Jacques Queralt, René Grando au centre, Xavier Febres à droite. Ci-dessous, de gauche à droite, Bernard Revel, Jean-Louis Coste, Jacques Queralt et Christian Di Scipio aux Vendanges littéraires de Rivesaltes en 2016.

Photos du haut : Jacques Queralt (debout à gauche) dans le bureau de la rédaction locale de l'Indépendant avec Michel Badrignans, Michel Demelin, Pierre Gadel et Jean-Claude Marre (de gauche à droite). Le trio auteur du livre qui a sorti la Retirada de l'oubli en 1981 : Jacques Queralt, René Grando au centre, Xavier Febres à droite. Ci-dessous, de gauche à droite, Bernard Revel, Jean-Louis Coste, Jacques Queralt et Christian Di Scipio aux Vendanges littéraires de Rivesaltes en 2016.

 

Une mémoire culturelle

 

Jacques Queralt est décédé à Perpignan le 19 avril 2020, à l’âge de 79 ans. Il fut une des grandes signatures culturelles de l’Indépendant dans les années 70 et 80. Il a co-écrit en 1981, avec René Grando et Xavier Febrès « Vous avez la mémoire courte », le premier livre sur la Retirada (réédité en 2009 par le Trabucaire sous le titre « Les camps du mépris ») et, avec Christine Lavaill, une biographie du chanteur catalan Jordi Barre (« Jordi Barre l’enchanteur » aux éditions Balzac). 

Il est l’auteur de plusieurs plaquettes consacrées à des artistes ainsi que de recueils de poésie en catalan, notamment « Paisatge interior d’un tic-tic saltamarges » et « Sense recança de l’escalp ».

Enseignant pendant 30 ans à l’école des Beaux-arts de Perpignan, il fut un grand créateur et commentateur de la vie culturelle catalane, française et universelle. Il mettait avec générosité son érudition, sa verve et sa poésie au service des artistes et des écrivains. Il avait rendu un vibrant hommage à Claude Delmas lors des Vendanges littéraires de Rivesaltes en 2016 et collaborait à la revue devenue blog de la Licorne d’Hannibal.

 

On peut accéder aux blogs de Met Barran et de la Licorne d'Hannibal à partir de notre page d'accueil en cliquant sur : Allez-y ! Blogs, sites.

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