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Publié par Bernard Revel

Léo Ferré : le vieux volcan n'est pas éteint

Léo Ferré est mort le 14 juillet 1993. Un vingtième anniversaire marqué par de nombreuses publications d'inégales qualités. Universal publie sous le titre "Léo Ferré, l'indigné" l'intégrale en 20 CD des studios Barclay (1960-1974). Une intégrale de ses textes est annoncée pour septembre : "Léo Ferré, les chants de la fureur, 1943-1992" (Editions Gallimard-La Mémoire et la mer).

Il était mal barré pour devenir le grand provocateur, le poète que rien n’arrête, la bête de scène qui donne tout en pâture à son public, ses larmes, ses haines, ses colères, ses amours. Quand on a « une voix étouffée par un édredon massif de timidité », comme le disait Madeleine, sa première épouse, qui fut longtemps la seule à croire en lui, il faut du temps pour que ça sorte. Souvent même, ça ne sort jamais. Lui, il n’a pas choisi la facilité. Il aurait pu se contenter de publier quelques recueils et de rester dans son coin loin de la société des hommes qu’il n’aimait guère. Mais non. Il lui fallait la scène. Etre Piaf et Baudelaire en même temps. Il a galéré. Il a été sifflé, méprisé, moqué. Sans doute a-t-il pensé souvent à renoncer. La vie d’artiste s’appelait alors Madame la misère. Et puis, il y eut « Le piano du pauvre », « Paris canaille », « L’homme ». Il y eut l’Alhambra en 1962, « Jolie môme », « Les poètes », « La mémoire et la mer ». Il explosait, Léo Ferré. Depuis le temps que ça bouillonnait en dedans, il ne nous a pas ratés. Enfin, je parle de ceux qui avaient l’âge d’en prendre plein la gueule en direct et qui ont assisté à l’éruption du volcan. Ça faisait mal et c’était bon. A l’époque de « Mon général », les bien pensants choqués, scandalisés étaient légion. Un type qui chante « Thank you Satan », « Y’en a marre », qui ose prétendre que « les bourgeois sont dans l’égout », c’est inadmissible, il faut l’interdire de radio, de micro, de journaux ! Il pervertit notre jeunesse. Peine perdue. Une fois qu’il était lancé, on ne l’arrêtait plus, Ferré. Attention, chanteur méchant ! Il crachait sur la censure, la critiquature et le reste. Il baisait la Marseillaise. Ses chansons faisaient Mai 68 avant l’heure. Pour tous ceux qui, ayant l’âge de croire qu’on peut changer la vie, les prirent en marche, elles furent du pain bénit lorsqu’ils voulurent mettre l’imagination au pouvoir. Mai 68 s’en est allé bien vite. Léo Ferré est resté.

Mourir un 14 juillet pour emmerder à jamais ceux qui, ce jour-là, marchent au pas ou se drapent de tricolore, c’est prendre date pour la postérité, ne croyez-vous pas ? Il n’y en a qu’un sur des millions, et pourtant il existe. Vingt ans après, dans une France de plus en plus hémiplégique où « les vespasiens de l’isoloir » se pavanent plus que jamais à « la télé-urne », ça console quand même un peu d’écouter l’éternel anarchiste. On se dit que la vie est mal faite, qu’un nouveau Léo Ferré serait plus utile qu’un Messie. Mais les temps n’en produisent plus. « Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos aînés ». Tu parles. Où sont-ils les nouveaux Ferré, Brassens, Coluche ? « Il n’y a plus rien », assénait-il. « Basta ».

Les braises de sa vie se sont éteintes. La passion Madeleine, la folie Pépée, les larmes devant Denise Glaser, les filles qui ont « du chien sans l’faire exprès », les salles en délire, le havre toscan, tout cela a compté pour lui et quelques autres, a nourri son œuvre ô combien autobiographique. Mais on s’en balance un peu. Avec le temps, va, tout s’en va. Sauf les mots. Ses mots avec ou sans musique, portés par la voix de velours et de crin, attendrie ou véhémente, lyrique ou violente. Les mots des autres aussi, poètes momifiés par l’école, devenus soudain, parce qu’il les a chantés, des êtres de chair et de sang comme nous. Rutebeuf, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Apollinaire, Aragon, vous lui devez une fière chandelle à Léo. Il a servi les plus « grands » sans avoir besoin de se hisser à leur niveau puisqu’il était leur égal, n’en déplaise à ceux qui réclament toujours leurs papiers aux poètes. Il suffit de le lire, de l’écouter. Ses mots, courtes chansons ou longs poèmes clamés inventant un nouveau genre, tiennent toujours le coup. Ils respirent la vie, avec tout ce qu’il faut d’amour, de tendresse, de lucidité, de vacherie et de souffrance.

Ce sont de drôles de types, les poètes. Ils aiment à la folie. « Si ton corps était de fine dentelle / Je le broderais par les quatre bouts / Et puis je ferais des nappes si belles / Que nous mangerions l’amour à genoux ». Mais ils ne sont pas faits pour le bonheur. Tôt ou tard survient « le majuscule Ennui qui nous sclérose / Mon pauvre amour car nous pensons les mêmes choses / En attendant que l’Ange nous métamorphose ».

La plume fleur bleue vire vite au chardon chez Léo Ferré. Il n’a attendu personne pour s’indigner contre ces Français qui « n’ont mêm’ plus d’cul », contre « ces bois que l’on dit de justice et qui poussent dans les supplices ». Il était du côté des oiseaux de malheur vilipendés de tous temps par ceux qui se rangent du côté du manche. Il lorgnait sur les fruits défendus qui ont le Code Pénal sous la robe et poussait la provocation jusqu’à l’intolérable parfois. « Dans ce monde où les muselières ne sont pas faites pour les chiens », il pouvait mordre méchamment. Il avait des sentences terribles : « On couche toujours avec des morts ». Et si on n’est pas mort, on erre parmi « ces milliards de cons qui font la solitude ». Il n’était pas drôle, Ferré. Quelque part dans les étoiles, il continue de cracher et d’apostropher. Pas vrai, mec ! Il ne se taira donc jamais, ce « vieux copain ». Il est toujours là, avec sa gueule de chimpanzé, vitupérant, ricanant, versant une larme sur Van Gogh, Beethoven, un chien ou un cheval. C’est dur, la vie. Marche ou crève. Alors, reste debout, nous dit-il, et surtout, n’oublie pas, « le sourire le sourire, camarade ».

Bernard Revel

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J
... et ce voyage en car, jadis en Allemagne, où nous étions quelques-un(e)s, à chanter du Léo à tue-tête. La mé-lan-an-co-liiiie..., c'est beau comme une séquence de film avec Jean-Pierre Léaud (comprend qui peut).
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B
Compris, camarade. Il m'est encore arrivé, il y a peu, quelque part dans les Pyrénées, de me retrouver avec quelques compagnons de hasard unis par "La mémoire et la mer" que nous entonnâmes après quelques verres d'un bon rouge du Roussillon.