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Publié par Chantal Lévêque

Le curé et la psy mènent l'enquête

« XY » de Sandro Veronesi.

(Editions Grasset, janvier 2013, 450 pages)

C’est un jeune critique littéraire qui le dit, et rien de tel pour piquer ma curiosité : il prétend que c’est le genre de livre qui vous entraînera dans de longues et vives discussions si d’aventure vous le prêtez à vos amis.

Ambiance : il neige, il n’a jamais neigé autant depuis des décennies… Dans un petit hameau de 43 âmes, au fin fond d’une vallée isolée, en Italie du Nord, un massacre d’une douzaine d’entre elles est proféré par on ne sait qui, de façon totalement inexplicable, insensée, indicible… Surnaturelle, c’est le mot exact. Entre en scène alors un duo de personnages singuliers. Le curé du village, témoin de la scène cauchemardesque, harcelé par le commissaire chargé de l’enquête et une psychiatre en herbe dont, inexplicablement, une cicatrice vieille de 15 ans vient de se rouvrir la nuit du drame, à mille lieues de là.

C’est à la demande du prêtre que Giovanna vient s’installer au presbytère. Il voit ses fidèles fuir son église, renier son saint patron Judas, (« patron des causes perdues » et aussi le nom du village, San Giuda : que de coïncidences !). Ils déraillent complètement, sombrent dans la folie, la haine, l’intolérance, la malveillance. « C’est le temps du mal ». Satan est à l’œuvre ! Et le prêtre cherche bien sûr, et en vain, à unifier les survivants de sa paroisse, de façon « à se sentir une seule et même chose, prier ensemble, et ensemble endiguer la douleur ».

Elle ne porte pas le même regard sur la situation. Au-delà de l’aspect X-Files qui l’attire dans cette histoire, si elle accepte de rejoindre ce pauvre curé au bout du monde, où ni télévision, ni internet, ni portable ne sévissent… juste un bar-épicerie où viennent se ravitailler les 4 familles qui s’y sont installées depuis la nuit des temps, victimes innocentes de tout ce que peut engendrer leur promiscuité : « relations incestueuses, endogamie, partenaires ou liaisons cachées » - si donc elle décide de cet exil, loin de toute civilisation, c’est parce qu’elle n’arrive pas à rompre avec son (« ex-post ») compagnon, qui la noie sous des SMS désespérés, qu’elle subit toujours le joug de sa mère (hyper-anxieuse, intrusive et souffrant « d’élancements parlants ») et qu’elle va trouver là l’occasion rêvée de parfaire sa formation de psychanalyste. Un tel foisonnement d’événements post-traumatiques dans un espace aussi restreint : voilà de quoi nourrir ses études de cas ! Ce n’est pas sauver des âmes qui l’intéresse, mais les panser.

Lui croit, elle pense. Lui, prêtre obstiné, rigide, fanatique (selon ses dires), « décide de ce qui est bien et de ce qui est mal, il absout ou blâme. » Elle, médecin de l’âme également, mais d’un tout autre ordre, observe, décortique, diagnostique, analyse, psychanalyse (à tout va, c’est ce qui est drôle : même sa mère y a droit, dans ses ruminations intérieures). Nos interprétations de ce qui n’est pas explicable ne coïncideraient-elles pas qu’avec ce en quoi nous croyons ? Mais faut-il toujours tout comprendre, tout expliquer ? « Et si l’on n’observe que ce que l’on comprend, ne finirait-on pas par n’exister qu’en ce que l’on comprend ? » Elle croit à la science des rêves, lui croit en Satan, au pouvoir du Mal. Elle est de plain-pied dans le siècle, lui patauge dans des idéaux d’un autre siècle. Tous deux cherchent à sauver le monde, se sauveront-ils l’un l’autre ? D’autant qu’ils sont, par ailleurs, encombrés d’une vérité impossible à divulguer.

C’est un roman vraiment passionnant qui non seulement porte à méditer sur les croyances de chacun mais dont l’intrigue, ce mystère de l’ordre de l’inconcevable (« aux faits connus, mais aux causes impossibles à imaginer… ») vous met en haleine jusqu’à la dernière page. Tout s’emboîte à merveille, dans le temps et dans l’espace, jusqu’au bout on s’interroge et on est implacablement surpris par la chute.

Mais ce qui m’a séduite dans ce scénario, où l’horreur finalement n’est distillée qu’à petites doses - mais dont la portée n’est pas innocente, loin de là - c’est l’écriture de Sandro Veronesi (malgré quelques maladresses dans la syntaxe que j’attribuerai à la traduction, ce qui reste à vérifier, bien sûr). Portée par ces deux voix qui alternent, qui donnent vie à ces deux personnages que l’on reconnaîtra sur la page sans difficulté : dans le registre du compte rendu laborieux pour le religieux … et dans celui de la pensée intime, très contemporaine (quelquefois juste de l’ordre de conversations téléphoniques), pour la jeune psychiatre. Laquelle a ma préférence : c’est tout à fait cocasse et absolument hilarant quelquefois (je me suis surprise souvent à en relire certains passages, juste pour en savourer le talent de l’auteur).

L’auteur, justement, n’en est pas à son premier forfait. Plusieurs fois primé, pour « Chaos calme » entre autres, dont on se souviendra peut-être de l’adaptation cinématographique, avec Nanni Moretti dans le rôle principal. Cela ne m’étonnerait pas qu’un metteur en scène s’approprie le récit de cet ouvrage, tant il séduit par la virtuosité de sa construction, son sens du suspense (épatant !), son humour désopilant et son regard original sur le monde d’aujourd’hui, sans parler, une fois de plus, des questionnements qu’il soulève…

Un des meilleurs livres que j’ai lus cet été.

Chantal Lévêque

Le curé et la psy mènent l'enquête

Sandro Veronesi

Né en 1959 en Toscane, architecte de formation, Sandro Veronesi accède à la notoriété en tant qu’écrivain avec « Chaos calme » paru en 2005 en Italie, adapté au cinéma par Antonello Grimaldi. Déjà lauréat de nombreux prix littéraires dans son pays, il obtient en France le prix Femina étranger 2008 et le prix Méditerranée étranger. Auteur d’ouvrages à l’univers fantastique et adepte du récit initiatique, comme en témoignent « Les Vagualames » et « La Force du passé », Sandro Veronesi, dont l’œuvre est traduite dans une dizaine de langues, est reconnu comme l’un des écrivains italiens majeurs de sa génération.

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B
XY : intriguant le titre <br /> (intriguing too !)
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C
C'est un plaisir pour moi. <br /> Quand on a lu un bon livre, il faut en partager l'agrément…<br /> d'autant que celui-ci peut porter à de passionnants débats.
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E
Merci, Vendangeurs littéraires, de nous parler d'autre chose que des &quot;chefs d’œuvre&quot; de la rentrée, les mêmes partout, dont on ne parlera plus dans quelques semaines. Et merci, madame Lévêque, de me faire découvrir Sandro Veronesi.
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