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Publié par Christian Di Scipio

"Couleurs de l’Incendie" de Pierre Lemaître

 

Editions Albin Michel, 544 pages,  22,90 €

 

Vous avez aimé le Comte de Monte Cristo du père Dumas ? Dévoré les romans de Simenon et sa description oppressante du milieu bourgeois qui sert de cadre aux enquêtes de Maigret ?  Vous vous êtes régalé à la lecture des « Grandes Familles » une œuvre injustement oubliée de Maurice Druon ? Vous aimez le bon polar avec une histoire qui vous tient en haleine jusqu’à la dernière scène ? Alors après « Au revoir là-haut » Prix Goncourt 2013, bonjour « Couleurs de l’incendie », deuxième volume d’une trilogie entamée par Pierre Lemaître.

On se souvient que le premier tome se terminait par le suicide spectaculaire d’Edouard Péricourt, survivant des tranchées qui se jette dans le vide après avoir essayé de vivre avec l’horrible infirmité qui faisait de lui, garçon si séduisant avant la Grande Guerre, un monstre obligé de se cacher pour ne pas offrir aux regards des autres l’horreur de son visage défiguré.

Depuis cet événement qui avait plongé la famille Péricourt dans un abîme de douleur, sept années sont passées.

 

Le roman débute en 1927. Marcel Péricourt, le père d’Edouard, vient

de mourir. Le président de la République en personne est attendu aux obsèques de ce banquier d’affaire qui a su gérer son entreprise en bon père de famille. La famille, ou plutôt ce qu’il en reste, est sur pont en ce jour de funérailles quasi nationales : sa fille Madeleine, épouse divorcée d’un escroc qui croupit en prison ; son petit-fils Paul qui ne trouve rien de plus inopportun que de tenter de se suicider en ce jour de gloire du clan Péricourt et son frère Charles.  Ah, celui-là ! Vieux crouton toujours au bord de la ruine, il n’a trouvé que l’élection à la Chambre des députés pour donner corps à ses ambitions pécuniaires et mondaines. C’est dire si l’auteur tient en piètre estime ce milieu politique de l’époque.

Les correspondances ne manquent pas entre cette période de l’Entre-deux-guerres et la nôtre lorsqu’on y proclamait déjà des slogans tels que « il faut réformer la société » en préconisant comme moyen d’action le détricotage des lois sociales qui mettaient un frein aux appétits de l’« élite » ultralibérale. Tiens ! tiens … Lemaître va pousser plus loin encore le parallèle entre hier et aujourd’hui en créant un cas Cahuzac des Années folles chargé de la défense de l’équité de l’impôt et accusé de détenir un compte discret dans une banque suisse. Ces clins d’œil à notre actualité sont comme autant de pépites de chocolats qui viennent agrémenter une sorte de vacherin littéraire de belle consistance romanesque. Plutôt vache le dessert en l’occurrence puisque Couleurs de l’incendie est le récit d’une vengeance.

A une machination ourdie par son entourage qui va la laisser sur la paille, Madeleine Péricourt qui vient d’hériter six millions de son défunt papa a tout perdu, victime d’une machiavélique escroquerie. Elle va élaborer une contre-machination impitoyable. Sorte de réincarnation féminine d’Edmond Dantès, « Madeleine n'était qu'une boule de rancune, animée par une vengeance froide. Inhumaine ». On serait tenté d’ajouter « et féministe » car cette fiction est aussi l’histoire d’une grande bourgeoise que son obsession de revanche va amener à se libérer des chaînes du patriarcat et du mariage communes aux femmes de son temps.

Décidément diabolique, Madeleine va s’appuyer sur un des maux de la société : la corruption de la grande presse.  Elle pourra aussi compter sur un allié providentiel dont les héros en quête de vengeance ne peuvent se passer dans tout bon roman de ce genre : M. Dupré, homme de main brutal si nécessaire, agent de renseignement subtil quand il le faut et amant délicat sur commande.

Lemaître s’entoure d’autres personnages qui viennent donner du corps à son récit : le petit Paul qui survivra à sa spectaculaire tentative de suicide. Il est l’intelligence positive dans ce jeu de rôles tandis que d’autres en sont le pendant négatif : d’abord, il y a Gustave Joubert, le fondé de pouvoir de la banque Péricourt à qui l’habit du chef des traitres sied comme un gant. Et puis, il y a André Delcourt le précepteur du petit Paul, séminariste manqué et poète pompier à ses heures, qui rêve d’être journaliste et écrivain. A ses côtés on ne peut qu’être troublé par Léonce, une sacrée garce aussi séduisante à l’extérieur que désolante dans son for intérieur. Près d’elle un certain Robert, sans foi ni loi certes, mais auxiliaire de justice malgré lui.

Bref, c’est du roman ficelé à l’ancienne comme les rôtis de veau de nos grands- mères, mais aussi réussis que ceux de nos grands chefs contemporains. Non seulement le plat ne manque pas de saveurs, mais en plus il est copieux. Bon ap’.

Christian Di Scipio

 

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S
Voilà un rôti de veau gastronomique qui met l'eau à la bouche...
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