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Publié par Bernard Revel

« A la droite du père » de Marie Bardet

Editions Emmanuelle Collas, 280 pages, 17 €.

Ce roman inaugure une maison d’édition créée par Emmanuelle Collas qui, après la disparition de Galaade, se lance dans une nouvelle aventure.

 

Sommes-nous contraints dès la naissance et quoi que nous fassions, de supporter le poids d’événements qui nous ont précédés ? C’est en tout cas le drame de Claire, le personnage central de ce roman, dont les origines vichyssoises et l’histoire de la famille, du moins en partie, se confondent avec celles de l’autrice. « Je suis née de Vichy », annonce Marie Bardet dans l’avant-propos. A quoi font écho ces mots de la dernière page : « Les enfants du chaos n’ont pas demandé à naître et leur violente innocence n’est à l’évidence coupable d’aucun passif. Mais comment s’arracher à sa mémoire sans s’arracher le cœur ? Comment ne pas répéter à ses dépens les drames que l’on n’a pas vécus, face aux acteurs impassibles des tombeaux ? »

Lorsque Claire vient au monde, Vichy n’est plus depuis longtemps le centre de la collaboration avec les nazis ni la complice zélée de la Shoah. Son père Gaston Robert est un vieil homme au bout du rouleau consacrant le peu de vie qui lui reste à des recherches ésotériques. Elle n’a pas connu le jeune architecte de renom qu’il était lorsqu’il dévoilait au maréchal Pétain ses plans ambitieux pour transformer la cité thermale en vraie capitale. Les premiers chapitres du roman remontent à cette période et mettent en place les faits qui scelleront bien plus tard le destin de Claire : l’ombre de Pétain qui, de sa fenêtre de l’hôtel du Parc, surveille les allées et venues ; les réunions clandestines d’un groupe d’antisémites dans une crypte sous les thermes, parmi lesquels « le héros » Gaston Robert et le docteur Charles Morlet, directeur de la station; les visites de ce dernier chez le kinésithérapeute juif allemand George Hirsch qui vit avec sa fille Annelise et Jeanne, une orpheline qu’ils ont recueillie et qui deviendra bien plus tard messagère du destin; le drame enfin lorsque, sur une place noire de monde, « une balle perdue » tue ce même Hirsch que la foule insulte.

Après la guerre, Gaston Robert poursuit sa carrière d’architecte à l’étranger, les réalisations de Le Corbusier, autre antisémite notoire « blanchi » lui aussi, étant préférées aux siennes. Lorsqu’il revient à Vichy, il a une femme qui a 35 ans de moins que lui et qui lui fait deux filles. On retrouve la petite famille dans les années 70. Claire est la plus jeune. Elle a neuf ans. Sa mère l’ignore. Sa sœur la déteste. Son père l’adore et la couvre de caresses qui semblent équivoques. Il est son dieu. Lui, justement, se croit investi d’une mission divine : ramener le peuple juif à la vraie foi, celle des chrétiens. Il se plonge dans les textes du judaïsme et écrit des livres censés apporter la preuve que « le pire ennemi du juif » c’est le juif. Mais son cœur le lâche. Il est à l’agonie. Claire veut offrir sa vie à Dieu pour que son père puisse vivre. Elle se persuade qu’elle est juive elle-même et porte-malheur de sa famille. Si elle disparait, son père sera sauvé. On parle beaucoup dans les journaux du terroriste Carlos, alias Ilich Ramirez Sanchez, qui est en cavale. Il viendra la chercher, elle en est sûre.

Carlos a d’autres chats à fouetter. Ce n’est pas Claire qui l’intéresse mais celui qu’il appelle son « filleul », le petit Maksim. Le terroriste surgit dans Beyrouth ravagée par la guerre. Il amène l’enfant avec lui à Damas pour en faire un combattant qui ne reviendra chez lui qu’après le massacre des Palestiniens dans le camp de Chatila, sous le regard complice des soldats israéliens de Sharon. « Contre la violence, il n’y a que la violence », lance alors l’enfant en apprenant que son grand-père a été tué.

 

Les baraques du camp de Rivesaltes. (Photo B.R.)

Les baraques du camp de Rivesaltes. (Photo B.R.)

Bien des années plus tard, en 2013 exactement, Claire Robert est devenue vigneronne à Rivesaltes. Son vin, le champ-des-asphodèles, est renommé. Elle est invitée à Beyrouth pour le présenter lors d’un salon des écrivains. C’est là qu’elle rencontre un jeune architecte prénommé Maksim. Entre la fille de celui qui détestait les juifs d’hier et le jeune homme qui combat les juifs d’aujourd’hui, le coup de foudre est réciproque. Ils se retrouveront vite chez elle, dans son domaine de souches et de cailloux. Mais un camp se dressera entre eux : celui de Rivesaltes. Et c’est dans ce camp, alors qu’ont lieu les travaux de construction du Mémorial, que les verront s’affronter les spectres d’Auschwitz et de Chatila. Restée seule parmi les ruines des baraques qui servent de champ de manœuvres, Claire, juste avant que la nuit ne tombe définitivement, entreverra la vérité sur la mort à Vichy du juif Hirsch. Son passé la rattrape. Et c’est comme si, depuis toujours, elle n’avait cessé de se tenir à la droite du père.

Construit d’une façon faussement décousue qui s’ordonne au fil des pages, écrit dans un style élégant voire précieux dans la recherche d’une expression poétique qui parfois déroute, ce premier roman de Marie Bardet, qui vit à Narbonne et fut, de 2008 à 2015, membre du jury des Vendanges littéraires de Rivesaltes, est à ranger à côté de « Palestine » d’Hubert Haddad. C'est dire qu'une romancière de talent est né.

Bernard Revel

Marie Bardet avec Hubert Haddad aux Vendanges littéraires de Rivesaltes en 2015.

Marie Bardet avec Hubert Haddad aux Vendanges littéraires de Rivesaltes en 2015.

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