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Publié par Bernard Revel

Au commencement, ils étaient trente-trois. Trente-trois messieurs à longue barbe, le front dégarni et l’habit austère. Ils étaient officiers, avocats, ingénieurs, pédagogues. Mais aussi géographes et explorateurs. En ce vendredi 13 janvier 1888, ils ont affronté le brouillard de Washington pour se retrouver à 8 heures du soir dans la salle de réunion du Cosmos Club, à deux pas de la Maison Blanche. Les apparences sont trompeuses. Ces hommes d’allure respectable étaient de véritables personnages de Jules Verne. Ils étaient les premiers explorateurs du Grand Canyon et de Yellowstone, ceux qui avaient porté le plus au nord les couleurs américaines, qui avaient mesuré l’altitude des montagnes, étudié les méandres des côtes et des fleuves, la faune et la flore, décrit les coutumes de peuplades inconnues, déterminé le parcours des tempêtes et l’impact des inondations.

Parmi eux, l’influent et autoritaire Gardiner Greene Hubbard (ci-contre), ami des présidents et des scientifiques, qui finançait les expériences de son gendre Alexander Graham Bell, inventeur du téléphone. Une passion réunissait ces trente-trois messieurs : celle de la géographie. Ils fondèrent ce soir-là, la National Geographic Society dont Hubbard devint le président et dont le but était d’accroître et diffuser les connaissances géographiques.

Au mois d’octobre suivant, la société publia une brochure scientifique « mince et longue, de format in-octavo, sous une couverture quelque peu rébarbative couleur de terre cuite ». Cent ans plus tard, écrit C.D.B. Bryan, « avec des recettes annuelles dépassant les 350 millions de dollars, avec près de onze millions de membres dans 170 nations, la National Geographic Society est, dans le monde, la plus grande institution scientifique et éducative à but non lucratif. »

Née dans une Amérique en crise mais portant une formidable confiance dans la science, elle a, de la conquête du Pôle Nord à celle de l’espace, traversé le siècle en explorant tous les recoins de l’aventure humaine et en célébrant les exploits avec d’autant plus d’enthousiasme qu’ils étaient, pour la plupart, accomplis sous la protection de la bannière étoilée.

Les premiers numéros de la revue ne sont pourtant guère encourageants, certains les jugeant, avec exagération sans doute, «horriblement scientifiques, propres seulement à la diffusion de connaissances géographiques parmi ceux qui les possédaient déjà et à en dégoûter les autres. » Les débuts furent incertains, le rythme de parution irrégulier. Mais les explorateurs barbus étaient des gens opiniâtres et, en 1896, le National Geographic Magazine devint mensuel. La couleur terre cuite de la couverture fut remplacée par une teinte chamois. La diffusion cependant n’augmentait guère. L’approche résolument universitaire de la géographie prônée par les pères fondateurs – « l’utilisation excessive de l’image et de l’anecdote doit être découragée », recommandaient-ils – coupait la revue d’un public plus vaste, malgré l’incroyable audace que fut la publication, en couverture du numéro de novembre 1896, d’une jeune mariée zouloue dont la poitrine était nue.

Tout va changer à la mort du vénérable M. Hubbard en 1897. Son gendre, Alexander Bell, se vit, selon ses propres termes, « contraint de devenir président de la Société pour la sauver ». Trop absorbé par ses expériences sur les machines volantes, il s’empressa de rechercher un rédacteur en chef, jeune de préférence, pour donner un nouvel élan à la revue. C’est sa fille Elsie qui dénicha l’oiseau rare : Gilbert Grosvenor (ci-dessous) dont elle était amoureuse. Miss Bell avait eu la main heureuse. Celui qu’elle allait épouser en 1900 donna au National Geographic Magazine son véritable envol. Devenu directeur de la publication, il allait rester 66 ans durant le moteur de la société.

« Sous sa direction, écrit C.D.B. Bryan, la Geographic, à partir d’une revue technique souvent peu attrayante, diffusée à quelques centaines d’exemplaires, allait se transformer en publication populaire, à couverture glacée, éclatante de couleurs. A la mort de Grosvenor, elle tirait à plus de 5 millions. »

Grosvenor avait le goût sûr. « Ce que j’aimais, l’homme moyen l’aimerait aussi », pensait-il. Il ne se trompait pas : le choix des sujets, la façon d’écrire, l’importance de la photographie, l’exploitation de la couleur, portaient sa marque et allaient faire du Geographic le reflet d’un monde auquel on reprochera plus tard d’être trop beau pour être vrai. 

 

En 1959, le Times dénonçait « l’apparence peu crédible du monde rose bonbon présenté par le Geographic. » Pour Newsweek, en 1963, « le monde du National Geographic est toujours riant et agréable ; c’est un univers d’où sont bannis les intrigues politiques, les intérêts commerciaux, les maladies et les péchés de toute sorte. » A quoi Melville Grosvenor, qui avait succédé à son père, répliquait : « Nous avons toujours essayé de ne pas insister sur les maux de ce monde. Puisqu’il contient tant de merveilles, pourquoi diable s’attacher à ses côtés sordides ? Ce n’est pas notre tâche. » 

En 2018, cependant, sa rédactrice en cher Susan Goldberg reconnaissait : « Pendant des décennies, nos reportages étaient racistes. »

Le magazine qui a fait rêver des millions de personnes à travers le monde, a su évoluer au temps du réchauffement climatique et des changements de mentalité. En 2016, il consacre un numéro à « la révolution du genre » avec, en couverture la photographie d’une fillette transgenre. Il compte aujourd’hui trente-deux éditions étrangères, l’édition française existant depuis 1999. 

Bernard Revel

 

 

 

 

 

 

A l’occasion de son centenaire en 1988, C.D.B. Bryan avait publié « National Geographic, 100 ans d’aventures et découvertes » (éditions Nathan) qui, outre l’histoire de la revue, contient ses plus grands reportages, du récit de Robert Peary en route vers le Pôle Nord à l’exploration de l’épave du Titanic. Un bel ouvrage, qu’on peut encore trouver neuf ou d’occasion, et qui a inspiré cette chronique.

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