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Publié par Bernard Revel

Charles Juliet le rebelle apaisé

Charles Juliet et son épouse ML dans la campagne bressanne chez leur ami journaliste et poète Didier Pobel (à l'arrière-plan). © B. R.

"Apaisement", journal VII 1997-2003 (éditions P.0.L.)

"Il est de fait que le plaisir de vivre que je goûte maintenant n'a jamais été aussi vif". Charles Juliet, "Apaisement", tome VII de son journal. L'auteur de "L'année de l'éveil" et de "Lambeaux", qui a aussi publié de nombreux recueils de poèmes ("Affûts", "Fouilles", "Moisson") vient d'obtenir le prix Goncourt de Poésie pour l'ensemble de son œuvre.

Il fut en 2010 le premier prix Jean-Morer des Vendanges littéraires de Rivesaltes.

Charles Juliet le rebelle apaisé

Sans faire de bruit, il sème depuis près de soixante ans, ses petites pierres sur un long chemin escarpé et désert qui s’est élargi et peuplé avec le temps. Charles Juliet qui a connu le succès en 1989 avec « L’année de l’éveil », récit de sa période d’enfant de troupe, tient depuis 1957 un Journal dont le septième volume, « Apaisement », récemment paru, couvre les années 1997 à 2003. Le titre même de l’ouvrage annonce une évolution qu’avait déjà amorcée le précédent, « Lumières d’automne », prix Jean-Morer 2010 des Vendanges littéraires de Rivesaltes. Rien dans l’itinéraire de cet être tourmenté, rebelle, dont l’enfance triste fut marquée au fer rouge par le sort de sa mère, relaté dans le livre bouleversant « Lambeaux», n’indiquait qu’il déboucherait un jour sur « le plaisir de vivre ».

Les titres des premiers volumes de son Journal commencé à l’âge de 23 ans, suffisent à mesurer le chemin parcouru : « Ténèbres en terre froide », « Traversée de nuit ». « Comment peut-on vouloir faire quelque chose de sa vie, quand on sait qu’au bout, il y a la mort ? » note-t-il le 2 mai 1957. C’est le même homme qui écrit un demi-siècle plus tard : « Il est de fait que le plaisir de vivre que je goûte maintenant n’a jamais été aussi vif ». Pourtant, Charles Juliet n’a pas changé. « Je suis resté un adolescent », répète-t-il, tant les premières années de sa vie restent présentes en lui. L’émotion souvent le submerge. Un film, une rencontre, un souvenir peuvent le faire pleurer. Car tout n’est pas toujours rose : « Comment me défaire de cette mélancolie qui me colle à la peau ?... Comment me supporter ? », laisse-t-il échapper, petite faille dans l’apaisement annoncé.

Ce qui me touche dans ces nombreux états d’âme, ces réflexions tirées d’un article lu, de visites dans des prisons et lycées, de conférences, de voyages, c’est qu’au fond ils sont aussi les nôtres. Charles Juliet fuit l’originalité à tout prix, la provocation, les étalages qui sont bien souvent les fruits de saison de la littérature contemporaine. Nombre de ses remarques tombent sous le sens et peuvent sembler banales. Il revendique le droit à dire des évidences. « Je ne me fixe aucune règle, sinon celle d’être totalement simple et sincère », écrit-il. Et c’est en cela qu’il nous touche. Il ne donne ni recettes ni leçons. Il témoigne en quelque sorte et c’est cette humilité du moi qui fait la valeur assez unique de son journal.

Parti de rien, Charles Juliet a péniblement appris à penser, à parler, à écrire. Cette difficulté d’être lui permet de goûter aujourd’hui aux plus petites choses de la vie. Simple peut-être mais certainement pas simple d’esprit. Il sait parler avec finesse, sans la morgue péremptoire des intellectuels mais avec sensibilité, des Baigneuses de Cézanne, d’Albert Camus à vélo dans la Haute-Loire ou de Simon Leys (« de tous les écrivains contemporains, il est celui que depuis plusieurs années, je lis avec le plus de profit et d’assiduité »). Au fil des pages, il nous dit son horreur des guerres d’hier et d’aujourd’hui, le gâchis de tant d’existences, son empathie avec les nombreuses personnes, des femmes surtout, qui viennent se confier à lui, son amour du rugby, sa passion pour Chet Baker, son émotion en regardant « Billy Elliot ». .

Charles Juliet se sait privilégié. Il a trouvé son salut dans l’écriture. « Tout ce que j’écris est tiré de ce que je vis », note-t-il. Mais rien n’est facile pour lui qui peut rester des heures « à ruminer devant la feuille blanche ». Autrefois, il en souffrait. Aujourd’hui, il attend avec un « calme intérieur » que les mots viennent comme une voix « grave, assourdie» qui impose son rythme et qui est la sienne. Cette voix, parfois, en toute circonstance, peut lui « offrir » un poème qu’il note aussitôt. D’où vient-elle ? « Je ne sais pas écrire quand les mots ne montent pas de mon propre fond », confie-t-il.

Après avoir longtemps erré, Charles Juliet a trouvé le chemin de son for intérieur, ce « soi si difficile à atteindre ». Pour lui, ce passage « du moi au soi » a été une « révolution intérieure » qu’il évoque à maintes reprises dans ce Journal car elle est la source de son «apaisement ». Il s’agit pour lui de « détrôner l’ego ». On aimerait savoir comment il y parvient. Il ne l’explique pas. Il se borne à dire qu’entre obéir à son égocentrisme ou le dépasser, il faut choisir. Dans le second cas, « l’être vit en bonne intelligence avec lui-même ». Et Charles Juliet soutient : « Quand au terme de ce dur travail on est devenu soi-même, alors on accède à un état qui est à la fois lucidité, vigueur, bonté, simplicité, sérénité, sagesse, consentement à soi et adhésion à la vie ». Une transformation qui peut connaître des défaillances, dit-il, mais qui est irréversible. Pour Charles Juliet il faut en passer par là pour que l’existence ne soit plus un fardeau. Ainsi s’explique son « apaisement ». Dix ans étant passés depuis l’écriture de ce Journal, il serait intéressant de savoir si le Charles Juliet qui aura 80 ans en septembre prochain, garde toujours cette sereine conviction. Sa lecture, en tout cas, aide à réfléchir, à s’interroger sur soi-même, à s’intéresser aux autres. Elle donne espoir. Elle apaise.

Bernard Revel

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D
Très pertinente lecture, cher Bernard. Charles a été très touché. Quant à la photo...
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C
&quot;Lucidité, vigueur, bonté, simplicité, sérénité, sagesse, consentement à soi et adhésion à la vie… &quot;<br /> Faut-il avoir autant souffert que lui pour arriver à toutes ces merveilleuses qualités ?<br /> Je me souviens encore de ce qu’il disait en octobre 2010. A la question : si vous étiez une fée penchée sur un berceau, quels seraient les voeux que vous feriez pour cet être au début de sa vie ? Il a répondu : des épreuves, toutes sortes d’épreuves… A méditer !
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