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Publié par Bernard Revel

A poil Tartuffe !

Pas de doute, il est revenu. On l’a reconnu à la télé brandissant un petit livre pour enfants. Son sang n’a fait qu’un tour, parait-il, en voyant la baby-sitter, la mamie, le policier et même la maîtresse à poil. Il dit que ce n’est pas bon pour l’autorité. Où irions-nous, en effet, si demain on voyait les députés, les ministres, les généraux, le président de la République, le pape, qui sais-je, à poil ? Complètement nus, vous voulez dire ? Oui, complètement. Même sans cravate ? Même sans cravate. Mais ce serait la révolution ! Il n’y aurait plus de respect. Il faut à tout prix protéger nos enfants contre cette menace. Ils doivent être traumatisés par ce livre, les pauvres. Eh bien non, justement, ils rigolent. Voir la maîtresse à poil, imaginez. N’en avez-vous jamais rêvé quand vous étiez petit, comme Titeuf essayant d'apercevoir, quand elle s’assoit, sa culotte ? Mais ne nous emballons pas. Ce n’est pas une vraie maîtresse en chair et en os, si j’ose dire, qui figure dans ce livre. C’est un dessin. Sa nudité n’a rien à voir avec celles qui s’affichent d’un simple clic sur internet. Elle est des plus innocente. Peu importe, s’indigne Tartuffe, grand défenseur, comme on le sait, de l’enfance. Cachez ce sein que je ne saurais voir. Certes, il ne le dit pas dans la langue de Molière : « Par de pareils objets les âmes sont blessées / Et cela fait venir de coupables pensées ». Mais l’idée y est, la démarche est la même : sous l’apparence du gardien de la morale, se cachent des intentions qui révèlent la vraie nature du personnage.

Car ce Tartuffe-là ambitionne quand même d’être un jour locataire de l’Elysée. L’autorité, pour lui, ça compte. C’est la première chose à enseigner aux enfants, petits êtres naturellement irrespectueux, impertinents, rebelles. La peur de l’uniforme, l’obéissance au chef, le sens du devoir, voilà ce qu’il faut leur inculquer si on veut que règne l’ordre. Sinon, c’est la chienlit, comme disait un vieux président qui n’aimait pas le joli mois de mai. Alors, rhabillez-vous, vitupère Tartuffe, au travail et silence dans les rangs !

L’autorité ne peut être à poil. Ma mère me disait quand j’avais un rendez-vous avec quelqu’un d’important qui m’intimidait : imagine-le au cabinet et tu seras moins impressionné. Ce n’était pas aussi simple. Mais il y avait du vrai. Montaigne n’affirmait pas autre chose en écrivant : « Au plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul ». Dur pour l’autorité, ça aussi. Qu’en pense notre Tartuffe ? Et que doit-il penser des caganers catalans, ces santons représentant les plus hautes personnalités de la planète en train de faire leurs besoins fesses à l’air ? Le roi est nu ! Intolérable, n’est-ce pas ? Ces Catalans ne respectent rien.

Il y a longtemps que la nudité est entrée dans les mœurs. Elle s’affiche au cinéma, sur les scènes, dans les magazines et sur les plages. On croyait bien finie l’époque d’un Jean Royer, maire de Tours et père la pudeur qui, dans les années 70, prônant l’ordre moral, était provoqué dans ses meetings politiques par de superbes filles dépoitraillées.

A Toulouse, pendant un meeting de Jean Royer, candidat à l'élection présidentielle de 1974, une jeune femme manifeste à sa façon contre "l'ordre moral" du maire de Tours.

A Toulouse, pendant un meeting de Jean Royer, candidat à l'élection présidentielle de 1974, une jeune femme manifeste à sa façon contre "l'ordre moral" du maire de Tours.

Eh bien non, aujourd’hui encore, aux yeux sournoisement effarouchés de certains « responsables », la nudité est subversive. Dans « Mes éclats de mémoire », Marie-Pierre Baux, racontant la belle aventure des Estivales de Perpignan et les problèmes qu’elle rencontrait avec le pouvoir politique, révèle que l’adjoint à la culture de cette ville avait fait interdire un spectacle de Jérôme Savary parce qu’il avait appris que des comédiennes s’y produiraient seins nus, une « horreur » qu’on ne saurait voir au Campo Santo, lieu sacré selon lui, bien qu’il ait perdu sa vocation religieuse depuis la Révolution pour devenir une caserne. Cet acte de censure contre lequel le maire de Perpignan n’avait pas levé le petit doigt, est bien digne de Tartuffe.

A poil Tartuffe !

Avec l’affaire du livre « Tous à poil », lequel a trouvé là, du reste, une publicité inespérée qui l'a fait grimper pour quelques jours au sommet des ventes entre « La Femme parfaite est une connasse » et « 50 Nuances de Gray », une partie de la droite entretient la polémique en agitant les dangers qui menacent l’enfance, en premier lieu la pédophilie, comme s’en inquiète avec le sens de la mesure qu’on lui connaît Nadine Morano, ex-ministre de la Famille de Sarkozy. Elle a appelé à « nettoyer les bibliothèques » de livres comme « Papa porte une robe rouge » ou « Mehdi met du rouge à lèvres ». Protège-t-on les enfants par l’ignorance, le non-dit, la censure ? Faut-il verser de l’essence sur des ouvrages qui nous choquent comme le firent il y a quelques années à Lagrasse des fanatiques lors d’un Banquet du livre consacré à « la nuit sexuelle » ? Les esprits s’échauffent. Les arrière-pensées politiques fermentent. On est bien loin de ce petit livre qui fait si peur à certains parce qu’il montre aux enfants que la baby-sitter, le policier, la maîtresse ont un sexe. Ils sont faits comme eux. Oui, madame. Il était temps que ça se sache. A poil le policier ! A poil la maîtresse ! A poil Tartuffe !

Bernard Revel

« Eclats de mémoire. Biographie d’un festival » par Marie-Pierre Baux, éditions Talaia, Perpignan.

« Tous à poil », de Marc Daniau (illustrations) et Claire Franek, éditions du Rouergue.

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U
Brûler des livres en place publique, on a déjà vu ça et c’était dans les époques les plus sombres (Savanarole, sous la férule d’Hitler, etc…)<br /> Méfions-nous toujours de ceux qui ont ce genre d’idée...<br /> Maintenant, s’ils étaient tous à poil là-haut, dans les hautes sphères gouvernementales, ils n’auraient plus à s’inquiéter d’être espionnés !<br /> Hi hi hi !<br /> Alors oui, à poil tous les tartuffes, je suis d’accord !
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