Cabaner, le Catalan de la bohème parisienne

Compositeur, pianiste et poète, Ernest Cabaner (Jean de Cabanes pour l’État-civil) est né à Perpignan le 12 octobre 1833 (1).

Paul Verlaine disait de lui : « C’est Jésus Christ après trois ans d’absinthe ! » Rimbaud, le surnommait « Tronche », Ambroise Vollard, le découvreur de Van Gogh : « Cabaner était un très brave homme, un peu poète, un peu musicien, un peu philosophe. Il n’est que trop vrai que la Fortune ne l’avait pas favorisé : mais il n’était jaloux de personne, si forte était sa croyance en son génie de musicien… »

Et Jean Richepin de peaufiner : « Je vais vous citer un autre homme de génie, dont Coppée parle dans ses souvenirs en se demandant ce qu’est devenu son pauvre ami qu’on citait comme une sorte de fou ou de saint.
C’est un musicien appelé Cabaner, qui a laissé quelques très beaux morceaux de musique, notamment sur des vers de Charles Cros, et qui était un homme de Perpignan avec une tête comme un moine de Zurbaran, les joues creuses, émaciées, car le pauvre a mis quarante ans à mourir de faim, en travaillant pour sa musique et en gagnant pour toute subsistance cinq francs par jour comme accompagnateur dans un pauvre petit café à soldats… »
Et Edouard Manet de confirmer son apparence physique dans un pastel, aujourd’hui au Musée d’Orsay ! Et Renoir, et Bazille, excusez du peu, de l’asseoir au milieu de quelques-uns de plus grands artistes de la période impressionniste qui furent tous ses amis, certains des plus intimes.
Rimbaud ? En 70, après la Commune de Paris, le Catalan l’hébergea dans les combles de l’hôtel des Étrangers, à l'angle du Boul’mich, et de la rue Racine. Avec lui, il mit en sa musique d’avant-garde les célébrissimes « voyelles ». Verlaine ? Il était aussi du fameux « Cercle des poètes zutique » dont Cabaner, est le doyen. Il est « l’organiste, athée autant qu’un pape qui jouait avec lenteur ; tout hilare sous sa cape, un air zutique, à ce public au ciel ravi … ». Citer encore le club de Batignolles, celui « des vilains bonshommes » comme des « Hydropathes », où la fée verte, le haschich et souvent la dèche accompagnaient entre autres célébrités : Camille Pelletan, André Gill, Rimbaud, Charles Cros, Jean Richepin, Paul Bourget …

Figure incontestable du Paris bohème, mais rongé depuis des années par la tuberculose, Cézanne et Zola organiseront une vente solidaire pour lui permettre d’aller se soigner « als banys » d'Arles. Manet, Degas, Franck-Lamy, Gervex, Pissarro, Beraud, Guillemet, Pils, Cordey, offriront une ou deux de leurs œuvres. Grâce aux 2 500 francs récoltés, (ce serait aujourd'hui des millions) il descendit au pays recevoir les soins qu’il n'avait jamais pu se payer de toute sa vie. Mais il remonta quand même à Paris pour y mourir, le 3 août 1881. Il avait 47 ans.

Michel Lloubes

(1). Dans la monographie qu'il lui a consacrée en 1993 (revue Terra Nostra n° 82-83) Claude Colomer précise que la famille de Cabaner est originaire de Rivesaltes.

Légendes des illustrations (de haut en bas) :

- Portrait de Cabaner par Edouard Manet. (Musée d’Orsay).

- "L'atelier de Bazille", oeuvre de Frédéric Bazille. A gauche, sous l'escalier, Renoir discute avec Zola appuyé à la rampe, Manet et Monet contemplent le tableau que le grand Bazille commente. Ernest Cabaner est au piano. (Musée d'Orsay).

- Ci-dessous : Ernest Cabaner et Charles Cros entourant Arthur Rimbaud (montage réalisé par Didier Vincent).

Poème de Cabaner dédié à « Rimbald » (Arthur Rimbaud)

SONNET DES SEPT NOMBRES

A Rimbald

Nombres des gammes, points rayonnants de l’anneau
Hiérarchique, – un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept –
Sons, voyelles, couleurs vous répondent car c’est
Vous qui les ordonnez pour les fêtes du Beau.

La OU cinabre, Si EU orangé, Do O
Jaune, Ré A vert, Mi E bleu, Fa I violet,
Sol U carmin – Ainsi mystérieux effet
De la nature, vous répond un triple écho,

Nombres des gammes ! Et la chair, faible, en des drames
De rires et de pleurs se délecte. – O L’Enfer,
L’Aurore ! La Clarté, La Verdure, L’Ether !

La Résignation du deuil, repos des âmes,
Et La Passion, monstre aux étreintes de fer,
Qui nous reprend ! – Tout est par vous, Nombres des gammes !