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Publié par Bernard Revel

Photo Philippe Cadu
Photo Philippe Cadu

« A jamais ton nom sur ma langue » de Claude Delmas

(Editions Trabucaire, 124 pages, 13 euros)

Lauréat des Vendanges Littéraires 2012, Jean Echenoz eut l’heureuse surprise de rencontrer à Rivesaltes l’auteur d’un roman dont le titre avait, pour lui et ses amis, valeur de mot de passe. Ils n’omettaient jamais de le mentionner dans leurs correspondances. Un titre qui sort, il est vrai, de l’ordinaire : « Le pont du chemin de fer est un chant triste dans l’air », roman paru en 1965 chez Flammarion. Un coup de maître qui n’était pas un coup d’essai puisque son auteur, Claude Delmas, âgé alors de 33 ans, avait publié peu avant chez Julliard « Le bain maure ». Les années ont passé. A part Jean Echenoz et ses amis, peu de gens se souviennent sans doute de ce « pont du chemin de fer » qui mériterait bien d’être remis sur les rails de l’édition. Né à Rivesaltes, après une brillante carrière à Air France et fort d’une œuvre d’une dizaine de romans dont « Le jeune homme immobile » et « Des reines sont mortes jeunes et belles », Claude Delmas s’est retiré à Vingrau. Dix ans après « L’absolue sécheresse du cœur », il nous revient enfin avec un nouveau roman : « A jamais ton nom sur ma langue ».

Le rêve noir de Claude Delmas

Le temps qui imprime si profondément sa marque sur nos corps ne nous change pas à l’intérieur. Claude Delmas est toujours le petit garçon qui, dans un voisinage de soldats allemands et de camp de concentration bouleversant son cocon familial, s’échappe dans le rêve. L’adolescent du « pont du chemin de fer » est un rêveur. Et rêveur, le quadragénaire de son dernier roman l’est également. Son rêve à lui porte le nom de Pili, jeune fille de Tolède à la fois trop proche et inaccessible. « J’éprouvais pour elle, confie-t-il, des sentiments d’une autre époque, des sentiments élevés, insensés, burlesques qui jusqu’ici m’étaient inconnus… Au fond, il n’y a d’histoire d’amour que s’il y a obstacle au désir ». Une histoire d’amour dont cet adolescent attardé joue jusqu’à l’obstacle majeur : la mort. Alors, le rêve devient cauchemar et le cauchemar réalité.

C’est en prison que commence le roman. Accusé de meurtre, le narrateur partage sa cellule avec deux condamnés, le Basque et l’Andalou. Dès les premières pages, le lecteur reçoit de plein fouet la promiscuité d’odeurs, de bruits, de gestes qui, décrite avec les mots les plus crus, fait apparaître toute l’horreur de ce huis clos. Le contraste est immense entre un présent glauque et les retours vers un passé proche tout ébloui d’une Pili pleine de vie et de beauté. Et pourtant. Sans ses deux compagnons de cellule qui ont tué et n’ont pas de remords, qui n’ont aucune culture, qui ne sont sortis de leur province que pour venir dans cette prison madrilène, avec qui il partage tout, surtout le pire, il n’aurait sans doute pas trouvé le courage de vivre. Il leur raconte ses voyages. Il leur lit des poèmes d’Emily Dickinson, leur parle de Thérèse d’Avila. « C’est la part maudite de moi-même que je vis ici en compagnie de ces deux codétenus qui sont devenus mes amis et sans la présence desquels j’aurais été peut-être tenté de me supprimer ; je dois à leur sollicitude ma résistance au dégoût, à la puanteur de l’excrément et de toutes les excrétions corporelles, à la souillure de l’humidité, aux chuchotements et aux pleurs nocturnes plus ou moins éloignés, à la crasse, au désespoir et à la peur, peur de tous les autres qui nous environnent et parfois nous menacent ». Lui, innocent, victime d’une injustice, n’en reconnaît pas moins dans ces deux coupables « les amis les plus précieux qu’il m’ait jamais été donné de connaître ». Et eux-mêmes qui s’entretueraient s’il n’était pas là, s’attachent à lui au point de craindre plus que tout sa libération. « On n’est quand même pas mal, ici, tous les trois », dit un jour l’Andalou.

Le va-et-vient entre la prison et les moments passés avec Pili, entre les misères des corps et la pureté d’un amour non consommé, donne toute son intensité à ce court roman qui, dans une langue classique dont chaque mot, vulgaire ou précieux, sonne juste, explore les coins les plus reculés de nos sentiments. Apprend-on réellement, un jour, ce qu’aimer veut dire ? Dans ses œuvres de jeunesse, Claude Delmas se posait déjà la question. Est-ce simplement un fantasme, comme le pensait jadis le jeune homme immobile ? Pili morte est-elle moins présente que Pili vivante ? « A jamais le frottement de ton nom, Pili, sur ma langue », soupire le narrateur. Est-ce sa définition de l’amour ? On peut fuir Tolède, l’Espagne, elles restent dans les pensées et continuent de « toujours faire mal ». Libre, il ne sait où aller. « L’Espagne m’est interdite, où les fantômes ne cesseraient pas de me poursuivre, la France me fatigue, comme la visite répétée d’un musée plus ou moins rural… » La Belgique peut-être. Il se souvient d’une brève rencontre, il y a longtemps, un jour de pluie à Bruxelles. « Il y a là-bas, une jeune femme blonde qui se balade dans les rues avec un parapluie rouge ». Et voilà, c’est reparti pour un autre rêve.

Bernard Revel

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D
Oui, redécouvrir Claude Delmas. Bonne idée. J'ai le souvenir d'avoir grappillé avec plaisir quelques-unes des pages de ses romans lors d'une escale dans une maison amie en Roussillon où l'on trouve (presque) tous les livres de Claude Delmas.
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