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Publié par Sylvie Coral

Berthe Morisot : L'ombrelle verte (Cleveland Museum).
Berthe Morisot : L'ombrelle verte (Cleveland Museum).

Novembre 1883

Aujourd’hui, c’est mon jour de congé. Un jeudi sur deux, j’ai droit à mon repos, après avoir préparé le déjeuner de Monsieur et Madame et bien retapé leurs oreillers et édredons. Monsieur m’a même donné une avance sur mes gages du mois de novembre et m’a souhaité le bonjour, en me recommandant de rentrer pour 20 heures. Je suis au service de Monsieur et Madame depuis trois ans. Oh, je ne me plains pas de mon sort, car ma vie pourrait être bien plus dure. Imaginez un peu si, pour gagner ma pitance, je devais loger chez Madame Tellier, dans la rue derrière l’église Saint-Etienne, comme ces pauvresses dissolues que fréquentent les bourgeois. Dieu m’en préserve, quel déshonneur ! Tout de même, je glousse à cette seule pensée.

Je marche d’un bon pas sur le trottoir herbeux, rasant les murs des maisons au passage des fiacres, évitant les flaques pour ne mouiller ni mes brodequins, ni le bas de la robe que Madame m’a permis de tailler dans l’une des siennes. Je m’aperçois, mille excuses, que je ne vous ai pas encore dit où je me rendais. Je vais à la librairie de la rue Beauvoisine. Me croirez-vous, on m’a appris à lire à mes quinze ans. Certes, ce n’est pas commun en 1883, pour une fille de ma condition, mais c’est pourtant bien vrai que j’ai cette chance.

J’aperçois la boutique au fond de la rue, avec ses parements de bois et sa porte vitrée. Mon cœur bat plus vite à la seule pensée du trésor qui m’y attend. Et puis, j’ose le dire, l’apprenti du libraire est bien aimable. Il a gardé pour moi le nouveau roman de M. de Maupassant. J’aime tant son titre, déjà : « Une Vie ». Il me donne des frissons. Je franchis enfin le seuil. Le son joyeux du carillon… me réveille d’un coup, chez moi, en 2014, à 7h00 du matin, m’invitant à ne pas lambiner au lit, histoire d’arriver à l’heure au bureau.

Je prépare mon café, mais je suis encore là-bas, au XIXème siècle…

Gustave Caillebotte : Portraits à la campagne (Musée Baron Gérard, Bayeux).
Gustave Caillebotte : Portraits à la campagne (Musée Baron Gérard, Bayeux).

Novembre 2014

La rentrée littéraire 2014 a été, comme la précédente et sans doute comme la prochaine, généreuse en nouveautés. Les prix plus ou moins prestigieux ont été décernés, parfois avec goût, parfois avec complaisance. Il est impossible de tout lire, il faut faire des choix. Parmi les choix, il y a le mien, par exemple. C’est celui de la fuite. J’ai fui devant Vuillard, Hustvedt, Salvayre, Foenkinos, Adam, Nothomb, Delacourt, Deville, Reinhardt, etc… pour courir me réfugier chez Maupassant, m’engouffrant dans son vestibule, claquant la porte derrière moi et y plaquant mon dos, reprenant enfin mon souffle, rajustant mon petit chapeau avant d’épousseter ma robe et mes brodequins.

Je n’ai pas honte de le dire. Je viens de découvrir vraiment Guy de Maupassant. J’avais sans doute dû l’étudier autrefois, au moins le minimum syndical pour passer un bac littéraire avant de passer à autre chose. Allez savoir pourquoi j’ai éprouvé le besoin, aujourd’hui, de parcourir sa Normandie, décor, entre autres, de « Une vie ». Le lecteur a ses raisons que la raison ne connaît pas. En retournant chez Maupassant, j’ai éprouvé ce qu’éprouve Jeanne lorsqu’elle revient aux Peuples, la maison de sa jeunesse. Tous ces bibelots connus jadis « prenaient une importance de témoins oubliés, d’amis retrouvés. Ils lui faisaient l’effet de ces gens qu’on a fréquentés longtemps sans qu’ils se soient jamais révélés et qui soudain, un soir, à propos de rien, se mettent à bavarder sans fin, à raconter toute leur âme qu’on ne soupçonnait pas. »

La modernité des romans et nouvelles de Maupassant me laisse pantoise. Sa faculté à saisir l’âme humaine, à dépeindre les mœurs de son temps, les travers de la société à laquelle il appartient, me fascine. Sa capacité à donner vie, couleurs et sonorités, aux paysages normands me subjugue.

Nos auteurs contemporains, du moins ceux qui écrivent de bons livres, ont toute la vie devant nous. Ils sauront passer l’éponge sur une infidélité temporaire. Guy de Maupassant, comme Flaubert, Hugo, Proust ou Tolstoï, à condition que nous sachions les rejoindre de temps à autres dans leurs mondes infinis, garderont l’éternité pour eux.

Sylvie Coral

Une vie ? (1883 – 2014)

Au siècle de Maupassant, contes et nouvelles du XIXè

(Omnibus, 1639 pages)

Ce volume présente les textes originaux des œuvres adaptées pour les collections " Chez Maupassant " et " Au siècle de Maupassant, Contes et Nouvelles du XIXe " qui sont diffusées sur France Télévisions depuis fin 2007.

Leurs auteurs sont, outre Guy de Maupassant : Jules Barbey d'Aurevilly, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Emile Gaboriau, Georges Courteline, Alphonse Daudet, Eugène Labiche, Alfred Delacour, Emile Zola, Gaston Leroux, Jules Renard, Alphonse Allais, Anatole France, Gyp, Octave Mirbeau, Eugène Chavette, Georges Feydeau.

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