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Publié par Christian Di Scipio

Michel Houellebecq. Photo Philippe Matsas - Flammarion
Michel Houellebecq. Photo Philippe Matsas - Flammarion

"Soumission" de Michel Houellebecq

(Editions Flammarion, 300 pages, 21€)

Lors de la parution de « Soumission », les tenants du politiquement correct se sont déchaînés contre Michel Houellebecq. Comme quoi, tout passe et tout lasse quand on se souvient des dithyrambes qui avaient accompagné ses dernières productions romanesques, poétiques et plus récemment cinématographiques. On a même vu Ali Baddou, présentateur vedette de Canal, toujours prompt à porter aux nues les plus ridicules créations du snobisme littéraire et artistique, prendre un air de dégoût avant de déclarer solennellement qu’il se sentait insulté par le livre en tant que personne de culture musulmane.

Qu’il soit donc permis à un lecteur, de culture chrétienne et plutôt athée, qui n’a jamais vibré, et encore moins bandé, aux historiettes houellebecquiennes pour midinettes en string et vieux quinquas en manque d’effusions clitoridiennes, de donner un avis non autorisé sur ce brûlot tiédasse qu’est cette « Soumission ».

Michel Houellebecq : aux bons beurs

Un parti musulman

L’action se situe en 2022, au cours des quelques semaines qui précèdent et qui suivent l’élection présidentielle. François Hollande a été réélu en 2017. Il a conservé Manuel Valls comme premier ministre : étonnant, mais pourquoi pas… Le romancier peut tout se permettre, non ? Les Musulmans ont créé la Fraternité musulmane, un parti politique sur le modèle de la démocratie chrétienne de l’Après-guerre. Il a désigné à sa tête Mohamed ben Abbes, un vieux routier de la politique. Ben Abbes a promis à François Bayrou, le très bigot centriste toujours en activité, le poste de Premier Ministre s’il remporte la présidentielle. On vous l’a déjà dit, le romancier a tous les pouvoirs, mais là, on n’a plus guère de doute : ce livre tient davantage de la farce que de la fiction politique. Et pour bien enfoncer le clou de la bonne blague, Houellebecq fait de François Copé le candidat de la droite unie. Il ne manquait plus qu’un Cohn-Bendit grabataire défendant la Sorbonne contre les mesures discriminatoires et antidémocratiques envisagées par Ben Abbes et Marine Le Pen, encore candidate du FN en cette année 2022, pour alimenter la poilade.

La campagne électorale se déroule sur fond d’affrontements sanglants et d’explosions mystérieuses. Entre qui et qui ? Nul ne la sait car les médias ont institué un black-out total sur ce sujet afin de ne pas mettre de l’huile sur le feu. Tout cela n’empêche pas le premier tour de la présidentielle de se dérouler normalement. Demandez aux Irakiens ou aux Syriens de 2015 : la guerre civile n’empêche pas des élections libres et démocratiques.

Le séisme politique

Le résultat que David Pujadas, toujours en poste (wouf ! wouf ! je ripoufe) annonce comme un « séisme », place Marine Le Pen largement en tête avec 34,1% des suffrages. Elle précède Mohamed Ben Abbes qui coiffe sur le fil le candidat socialiste dont on ne dit pas le nom (22,4% contre 21,9%). Quant à François Copé il sombre dans le ridicule avec 12,1% des voix.

Ce Ben Abbes n’a rien d’un fou de Dieu. Il est cultivé, bonhomme, sympathique, tenant d’un islam annoncé comme tolérant. Jugez plutôt. Son programme prévoit que les femmes ne pourront plus exercer certaines professions comme celle d’enseignant, que la polygamie sera recommandée, que les profs devront se convertir à l’islam, que les enfants des écoles devront suivre un enseignement coranique. Bref, toute une série de mesures rétrogrades énoncées sans haine et qui vont s’appliquer sans violence, une fois qu’il sera élu.

Michel Houellebecq : aux bons beurs

Tout cela a l’air d’amuser follement Houellebecq dont le héros, prénommé lui aussi François (il doit y avoir une symbolique dans cette accumulation de François qui m’a échappé) fait sienne la devise « courage fuyons » en quittant la Capitale agitée entre les deux tours de l’élection pour filer sans but précis vers le Sud. Là, il retrouve, comme par hasard, une connaissance, un ancien du contre-espionnage, qui possède une maison de campagne à Martel dans le Périgord. « Martel » comme « Charles Martel », le vainqueur des Arabes à Poitiers : amusant non ? On s’attend à ce qu’une résistance anti-islamique s’organise dès le soir du second tour qui voit Ben Abbes triompher et Marine le Pen mordre la poussière. Rien de tout ça n’arrivera.

Converti comme Huysmans

Chacun retourne à ses problèmes personnels comme notre François, le héros à la triste figure de cette histoire. Professeur à la Sorbonne, sa vie intellectuelle se résume à des cours et à des articles sur Joris-Karl Huysmans, un écrivain auquel il a consacré des années de recherche et dont l’œuvre se résume à deux pages dans le Lagarde et Michard du XIXe. Il se trouve des points communs avec cet auteur un peu désuet auquel il a consacré une vie de recherche. Comme lui, il aspire à une certaine tranquillité d’être. Comme lui, il s’interroge sur l’athéisme, comme lui il va se retirer du monde dans un monastère. Mais il ne tient que deux jours et s’en retourne bien vite à Paris. Mais en fin de compte, comme Huysmans, François le narrateur va finir par se convertir. Non pas au catholicisme comme son modèle puisque catholique il l’est déjà, mais à l’islam.

Eh oui, finalement qu’est-ce que l’islam pour le narrateur qui s’est senti de moins en moins athée et de moins en moins à gauche, sinon l’accomplissement de tout ce pour quoi se battent les catholiques traditionnalistes : l’ordre moral, le retour des femmes à la maison, le patriarcat, etc. Le pied quoi !

Une charge antifrançaise

Alors, un livre antimusulman que ce récit d’une soumission nationale à l’islam ? « Islam », un mot qui veut justement dire soumission à Dieu et à l’enseignement de son prophète ? C’te bonne blague ! On peut avoir des doutes à la lecture du parallèle que Houellebecq ose entre le parcours de l’héroïne d’Histoire d’O et son adhésion à la religion musulmane !

Plus qu’antimusulman ce petit roman assez mal fichu et écrit à la diable malgré certaines fulgurances littéraires, est avant tout un pamphlet antifrançais. On retrouve dans cette charge, les Français égaux à ce qu’ils furent pendant l’Occupation allemande, prompts à se livrer corps et âme aux nouveaux maîtres du pays. Dans cette version de la France collaborationniste, les réac’ ont tellement écrasé la concurrence que Le Pen et consorts vont devenir la seule opposition de gauche encore debout face au pouvoir religieux. Une histoire revue à défaut d’être révisionniste, pas franchement marrante mais assez drôle quand on veut bien se libérer du qu’en dira-t-on de Télérama, du Masque et la Plume et des pédants de la Closerie des Lilas. On pouvait penser, à lire quelques dizaines de pages, se trouver dans une version cul-bénite de Candide de Voltaire ou de 1984 de George Orwell, mais en réalité on a affaire qu’à un pastiche du gentillet « Au bon beurre » de Jean Dutourd , qu’on pourra écrire « Aux bons Beurs » pour être dans l’air de ce temps-là

Pas de quoi fouetter un chat ou émouvoir Allah. Ajoutez prudemment (ça peut éviter une fatwa), « qui est grand » de la même façon que l’on dit après avoir cité une marque de pinard à la télé ou un bouquin de Houellebecq « à consommer avec modération ».

Christian Di Scipio

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C
Jamais cette « soumission » ne fera l’unanimité, c’est clair !<br /> Pourtant je trouve ce dernier Welbeck limpide, accrocheur et flippant…<br /> Il a un talent sur pour observer et inventer.<br /> Bon d’accord, son personnage n’est pas très marrant : un type en perte de sens, crevant de solitude, dont l’existence balance entre ennui et souffrance et qui se raccroche au sexe et à la bonne bouffe - via la polygamie, donc par adhésion à une religion qui l’autorise.<br /> Mais chapeau pour son analyse politique d’un pays qui lui aussi est en perte de sens, et pour la création d’un tel scénario. <br /> Espérons que sa fiction n’est… qu’une fiction, et qu’elle le restera !
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