Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Bernard Revel

Il y a 140 ans, le 30 avril 1877, huit mois avant Edison, un jeune Audois inventait le phonographe. Né à Fabrezan le 1er octobre 1842, mort à Paris le 8 août 1888, pauvre et dans l’indifférence, Charles Cros méritait à plus d’un titre la reconnaissance des hommes. Cette vie marquée par les intuitions les plus géniales n’aura été qu’une succession d’échecs. Il y eut bien, après sa mort, quelques tentatives isolées pour lui rendre justice, mais cet être hors du commun est toujours retombé dans l’ombre.

Il fallut attendre 1970 pour que soit écrite sa première véritable biographie. S’il a donné son nom à une célèbre académie qui décerne des prix aux meilleurs disques, sa vie et son œuvre restent encore méconnues. Le centenaire de sa mort, en 1988, a mis en lumière pour un moment ce « maudit » de la science et de la poésie. A-t-il pour autant trouvé sa place parmi les grands hommes du XIXème siècle ?

Son grand-père était né à Lagrasse, son père et son frère aîné aussi, son deuxième frère à Narbonne et lui, le plus jeune, à Fabrezan (vue du village ci-dessus). Fils des Corbières, Charles Cros avait de qui tenir. D’un père professeur qui se piquait de philosophie et fut révoqué de son poste en 1849 pour ses idées républicaines, lui vint, comme à ses frères, l’amour de l’art. Dans le Mercure de France du 1er janvier 1919, Ernest Raynaud fait une belle description du milieu dans lequel germa le génie du jeune homme : « Son grand-père faisait des vers à la manière de Théocrite. Son père était un homme à la fois de lettres et de science qui légua à ses trois fils le goût des découvertes et la manie de l’invention. L’aîné, le docteur Antoine Cros, a laissé plusieurs volumes de vers de facture parnassienne et de recherche métaphysique. Il avait un fils, Térence, qui improvisait dès l’âge de dix ans, des opéras au piano et donnait de grandes espérances, lorsqu’il fut enlevé, en pleine jeunesse, par une maladie nerveuse. Le second frère du poète, le sculpteur Henri Cros, s’est employé à retrouver le secret perdu de la peinture à l’encaustique et s’est illustré par ses travaux en pâte de verre polychrome, qui lui valurent d’être appelé à la manufacture de Sèvres. Charles Cros était le cadet. Le génie était dans cette famille mais si les trois frères se marquaient du même sang par leur éveil d’esprit et leur fureur inventive, ils différaient essentiellement de physique. Antoine donnait l’impression de la santé, de l’équilibre. Une pointe d’embonpoint ajoutait à sa tournure patricienne. Il offrait le masque d’un Gambetta. Henri, avec sa figure pâle, ses yeux creux et fiévreux, son lisse collier de barbe noire, semblait un seigneur de la cour des Valois. Charles au teint basané, aux cheveux crépus, à la minceur frivole, faisait songer à ces tsiganes qu’a chantés le poète Lenau, qui vivent en marge de toutes les conventions et meurent tôt, épuisés de rêves, de musique et de tabac. Il n’en avait pas que l’apparence. Il en avait aussi l’âme et la complexion. Il en avait jusqu’au parler gazouillant et lorsqu’il s’excitait, ses paroles pressées de sortir, s’écrasaient sur ses lèvres avec le bruit amusant de petites amorces. Nul ne se montrait plus ouvert, plus affable, plus cordial et s’il savait rudoyer les importuns, la chaleur de son accueil ravissait ceux qu’il en jugeait dignes. Tsigane, il l’était jusqu’aux moelles, toujours occupé à voyager en rêve, dans les pays fictifs, dédaigneux des chemins frayés, soucieux d’escalader les barrières, toujours en quête d’inconnu. Son imagination ne pouvait tenir en place ».

Il n’a pas dix ans lorsque son père quitte l’institution qu’il dirige à Narbonne pour aller exercer à Paris dans l’enseignement privé. Ce professeur pas comme les autres se chargera lui-même de l’éducation de Charles jusqu’au baccalauréat. Mais l’enfant, très tôt, sait voler de ses propres ailes. « A onze ans, raconte Emile Goudeau qui fut son ami, Charles Cros est pris de la folie des langues orientales. Il les apprend surtout en bouquinant sur les quais, ou en se faufilant aux cours publics dans les jambes des graves auditeurs de la Sorbonne. A seize ans, il est en état de professer l’hébreu et le sanscrit, ce qu’il fait avec un certain succès. A dix-huit ans, il entre à l’institution des sourds-muets comme répétiteur. Il y fait le cours de chimie… Il commence alors la médecine, l’exerce avant d’être reçu docteur et s’obstine à ne pas le devenir ; il veut rester un fantaisiste échevelé en science comme en littérature ».

Pour avoir servi de témoin à son frère Henri qui se battait en duel, Charles est renvoyé des Sourds-muets le 25 février 1863. C’était déjà, écrira Pascal Pia, « un humaniste à l’ancienne, curieux de tout comme un Peiresc, et ouvert à tous les arts ». Il fréquente les milieux littéraires, se lie vers 1866 avec Verlaine, Coppée, André Grill. En même temps, la recherche scientifique le passionne. Il met au point un système de télégraphe automatique qu’il présente à l’Exposition universelle de 1867. La même année, il envoie à l’Académie des sciences la description d’un « procédé d’enregistrement et de reproduction des couleurs, des formes et des mouvements », ébauche de la « solution générale de la photographie des couleurs » qu’il publie en 1869.

Dans ce dernier mémoire, Charles Cros résume sa philosophie de l’invention qui explique qu’il n’ait jamais pu tirer parti de l’une d’elles. « Qu’on ne s’étonne pas, écrit-il, si je n’apporte pas de résultats réalisés et si je ne cherche pas, par moi-même, à exploiter mon idée. Je n’ai eu, ni antérieurement, ni actuellement, aucun moyen de réalisation. Chercher ces moyens me serait une grande dépense de temps et de mouvement, dépense qui serait suivie du travail de mise en pratique. Ceci n’est pas dit pour que quelqu’un vienne à mon aide. Je n’en ai pas un vif désir ; attendu qu’ayant été longtemps obligé de me passer de ces moyens, je me suis habitué à poursuivre plutôt les problèmes généraux de la science que les réalisations particulières. Les solutions que j’ai trouvées au problème spécial de la photographie des couleurs, sont publiés à la suite et je ne m’en suis pas réservé la propriété commerciale. C’est la conséquence de l’insouci que j’ai de réaliser pas moi-même : l’idée entre dans le domaine public et les savants spéciaux, les expérimentateurs habiles ne seront gênés en rien dans leurs recherches. Ils pourront en outre -et il est nécessaire qu’il en soit ainsi- se rendre possesseurs exclusifs des procédés particuliers indispensables à l’obtention du résultat final ».

Bernard Revel

(A suivre)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
Bonjour<br /> je suis poète, j'aime me promener dans vos mots <br /> je vous adresse un texte publié en revue il y a qq années autour de <br /> Charles Cros<br /> je vous donne également l'adresse de mon blog <br /> Effleurements livresques, épanchements maltés - Overblog <br /> http://holophernes.over-blog.com/<br /> Courtoisement<br /> Mermed<br /> <br /> <br /> <br /> Charles Cros<br /> <br /> Dans la lignée de ces grands fauves de l‘amour,<br /> Voici le matin bleu. Ma rose et blonde amie<br /> Lasse d’amour, sous mes baisers, s’est endormie…<br /> Il en est qui éclaire leurs nuits et nos jours.<br /> <br /> Au café, il écoutait, à la fin du jour,<br /> Ernest Cabaner* qui improvisait Sidonie<br /> - vous savez, celle qui a plus d’une amie -<br /> Et c’était déjà Charles Cros pour toujours,<br /> <br /> C’ est moi seul que je veux charmer en écrivant<br /> Les rêves bienheureux que me dicte le vent…<br /> Des vers pour son bonheur et notre plaisir,<br /> <br /> Il en a écrit de ces vers perpétuels -<br /> Une fois lus, à jamais dans notre souvenir -<br /> Rejoignant la cohorte des poèmes éternels.<br /> <br /> <br /> Nous, lecteurs ébahis, au bord de l’inconnu qui nous appelle…nous retrouvons Charles; il nous prend par la main, il nous dit; J'ai pénétré bien des mystères; et c’est vrai il a étudié - en scientifique - l’amour, Musset, Chopin ils les a consulté…et ce travail lui a permis de connaître le bonheur le vrai - pas celui qui est un suivi de six zéros…<br /> Ce bonheur: Ne soyons jamais soumis !<br /> <br /> <br /> Dans un café criard nous l’évoquerons en dînant - de quoi d’autre ?- d’un hareng saur et nous boirons du vin - trop - en écoutant distraitement la radio; Brigitte Bardot chante que Sidonie a plus d’un amant…<br /> <br /> J’ai fait appel à ces poèmes: Matin, Triolets fantaisistes, Villégiature, Tsigane, Heures sereines, A grand-Papa <br /> <br /> <br /> * Ernest Cabaner Pianiste-barman de l’ hôtel des étrangers (Rue Racine) a mis en musique des poèmes de Charles et il coloriait les notes de ses partitions - c’est avec ces couleurs qu’il enseigna la musique et le piano à Arthur - qui fut son barman-adjoint durant quelques mois. <br /> <br /> © Mermed septembre - octobre 2009
Répondre