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Publié par Bernard Revel

Suite et fin d'une brève histoire de la vie de Charles Cros, né à Fabrezan dans l'Aude

Si Charles Cros ne peut se permettre « la grande dépense de temps » qu’exige la réalisation de ses inventions (voir la première partie de cette chronique dans le précédent numéro de la Semaine), c’est qu’une autre passion le dévore : la poésie. Entre une théorie sur « la mécanique cérébrale » et une étude sur « les moyens de communication avec les planètes », Charles compose des poèmes. Il fréquente assidument, à partir de 1868, le salon de Nina de Villard qui accueille en vrac poètes, écrivains, musiciens et… hommes politiques.

Chez cette jeune femme anticonformiste (« Pas besoin d’un habit pour être reçu chez moi : un sonnet suffit », disait-elle), Charles côtoie François Coppée, Villiers de l’Isle-Adam, Verlaine, Anatole France, Jean Richepin, Mallarmé, Degas, Manet et bien d’autres artistes à qui se mêlaient des « agitateurs » opposés à Napoléon III tels que Gambetta et de futurs communards.

Rapidement, Nina devient la maîtresse de Charles. Leur liaison, interrompue par la guerre de 1870 pendant laquelle elle se réfugie en Suisse, durera une dizaine d’années. En septembre 1871, Arthur Rimbaud est accueilli à Paris par Verlaine et Charles Cros qui se sont cotisés pour héberger le jeune poète dont les vers les enthousiasment. Rimbaud logera pendant quinze jours chez Charles.

Pendant la Commune, Charles Cros semble avoir gardé une prudente réserve, se consacrant essentiellement à ses recherches et à la poésie. En 1873, il publie son premier recueil « Le coffret de Santal » dont certains poèmes drôles, à l’image du « Hareng saur », aujourd’hui encore bien connu, obtiennent un bon succès. L’année suivante, il fonde la Revue du Monde nouveau qui ne survivra pas à trois numéros, publie « Le Fleuve » et, en 1876, « Dizains réalistes ». Il écrit aussi, en en renouvelant le genre, des monologues que l’acteur Coquelin Capdet déclame dans les salons.

Le 30 avril 1877, Charles Cros adresse à l’Académie des sciences un pli cacheté contenant la description « exacte et complète » du phonographe qu’il nomme alors le paléophone (la voix du passé). « On ne saurait concevoir, écrit Emile Gautier dans un livre consacré à l’invention, rien de plus définitif. C’était là une description totale, irréprochable, précise et parfaite de l’appareil futur ». Le 3 décembre, Charles requiert l’ouverture du pli et sa lecture publique. Seize jours plus tard, le 19 décembre 1877, l’Américain Thomas Edison dépose une demande de brevet pour un appareil permettant la reproduction des sons.

« La description de Charles Cros, écrit l’Encyclopedia Universalis un siècle plus tard, c’était d’emblée le disque tels qu’on le connait aujourd’hui, la gravure latérale et la duplication par galvanoplastie. Mais ce n’était qu’une description et, impécunieux, le poète n’avait pu réunir les cinquante francs nécessaires au brevet de son invention. La première réalisation effective est celle d’Edison. Si son phonographe avait le mérite d’exister et de fonctionner, il procédait de principes moins avancés que ceux de Cros et l’invention s’en trouva engagée dans une impasse ».

 

« Pauvre cher Cros, écrira Jules Perroux dans Le Figaro en 1893. La première fois que je l’ai vu, c’était il y a quinze ans à la Société de physique, dans une séance où Puskas, au nom d’Edison, présentait le phonographe. Je me trouvais assis à côté de Charles sans le connaître ; je n’oublierai jamais la stupéfaction de tous les assistants aux premières paroles répétées par le cylindre métallique. Je me rappelle les soupçons provoqués par ce miracle d’une voix humaine reproduite avec une identité si parfaite qu’elle en semblait railleuse ; je me rappelle mon voisin se levant et revendiquant pour lui la priorité de la nouvelle invention… Cros éprouvait l’immense douleur de voir arriver d’au-delà de l’océan, cette importation étrangère qui lui faisait perdre le fruit de ses veilles, et portait un terrible coup à ses espérances. Les revendications de Cros furent accueillies par des murmures désapprobateurs et des protestations accablantes. Il se rassit tristement, ajoutant avec mélancolie ces mots qui résonnent encore dans mon oreille : « Eh bien, qu’il en soit ainsi ! Puisque M. Edison a inventé le phonographe, gloire à lui ! »

Un phonographe exposé au musée Charles Cros de Fabrezan.

Un phonographe exposé au musée Charles Cros de Fabrezan.

A Edison la gloire et la fortune, à Cros la déchéance et la misère. Il ne se relèvera pas de cet

échec. En 1878, il épouse Mary Hjardemaal, une Danoise originaire des Antilles qui lui donnera deux fils dont l’aîné, Guy-Charles, sera poète à son tour. Charles mène plus que jamais une vie de bohème, apparaissant dans les groupes littéraires les plus marginaux : le Cercle des Hydropathes, les Zutistes. Il collabore à la revue Le Chat noir. « Je suis perpétuellement malade, dégoûté et chimiste », écrit-il en 1883.

Les échecs, la pauvreté, l’absinthe ont assombri son caractère. Ses derniers poèmes que son fils Guy publiera en 1908 sous le titre « Le collier de griffes » témoignent du drame que vit cet homme brisé que tout promettait à une brillante destinée. Pendant les vacances, Charles emmène ses enfants à Lagrasse où sa mère s’est retirée. « On le voyait rarement dans les rues, écrit Jean Amiel. Les mauvaises langues, ou plutôt les langues longues, prétendent qu’on le voyait plus souvent au café ».

Il meurt à Paris dans l’après-midi du 9 août 1888. « Aux dires des médecins, Cros succombait à une phtisie galopante. Il ne nous parait pas déraisonnable de penser qu’il est mort aussi de lassitude, qu’il est mort surtout de dégoût », écrit Pascal Pia. Il avait 46 ans.

Bernard Revel

 

Le hareng saur

Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.
 
Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.
 
Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur nu - nu, nu, nu.
 
Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.
 
Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,
L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.
 
Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,
Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.
 
J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,
Et amuser les enfants - petits, petits, petits.

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