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Publié par Chantal Lévêque

« La robe blanche » de Nathalie Léger 

Editions P.O.L., 144 pages

 

Nathalie Léger est directrice générale de l'IMEC (Institut Mémoires de l'édition contemporaine). Elle est l’auteure d’un essai intitulé Les Vies silencieuses de Samuel Beckett (Allia, 2006). Elle a également publié un roman autour de la comtesse de Castiglione, L’Exposition (P.O.L., 2008). Son roman Supplément à la vie de Barbara Loden (P.O.L.) a reçu en 2012 le Prix du livre Inter.

 

Je me souviens d’ «Une petite robe de fête » de Christian Bobin. Il y était question de l’attente, de l’amour, et puis du silence lorsque l’autre s’en va.  Et voilà que je découvre « La robe blanche » qui parle d’amour aussi, d’amour universel et d’amour qui finit mal, mais surtout du côté des femmes… et de tout ce qui apparaît d’elles dans le monde de l’art actuel.  

« Une robe blanche suffit-elle à racheter les souffrances du monde ? Sans doute pas plus que les mots ne peuvent rendre justice à une mère en larmes », nous est-il dit au dos de la couverture de ce petit ouvrage immaculé. 

Il faut garder ces quelques phrases à l’esprit pour entrer dans l’histoire de la conteuse tant elle nous promène de part en part, rechignant de prime abord à faire le lien entre une artiste et le vécu de sa mère. Ce n’est que dans les dix dernières pages, éblouissantes de vérité, que la lumière jaillit, définitivement.

Il y a, d’une part, en 2008, la performance de cette jeune femme italienne qui se fait appeler Picca Bacca (photo ci-dessous), partie de Milan vêtue d’une robe de mariée et désirant rejoindre Jérusalem en auto-stop. Acte symbolique pour demander justice, porter la paix dans des pays qui ont connu la guerre. Elle n’a pu aller au bout de son voyage. Sa fin sera tragique. 

Et d’autre part, une promenade en bord de mer où mère et fille sont en conversation. « Tu peux agir pour moi, tu peux parler pour moi, tu peux me défendre et même me venger. »Cette mère exhorte sa fille de raconter le désastre de sa vie, parce qu’elle aussi a besoin de crier justice.

Ce n’est pas un roman, c’est un récit vrai, sincère, où à chaque ligne se lisent la colère, l’incompréhension et le doute. Avec des mots justes et précis, des merveilles de phrases, sans outrance, sans revendications, où l’analyse des sentiments le dispute à une réflexion posée qui évolue spontanément, tranquillement au fur et à mesure que d’autres œuvres d’art, encore, viennent enrichir le sujet. C’est bien ce qui explique les méandres préliminaires par lesquelles il nous faut passer… 

« C’est ainsi, tout en me jurant à moi-même de rester sobre, tout en me retenant d’en dire le plus du moins possible, c’est ainsi que j’ai glissé, honteuse délectation, la meilleure, on ne se refait pas, dans les méandres désaccordés de mon récit. Mais, tout de suite, j’ai bien précisé que les méandres étaient peut-être moins ceux de mon récit et de mon obsession que les siens, ceux d’une mariée sans mari lancée sur la route pour le bien des peuples. Et j’ai dit aussi qu’il était normal que la description d’objets complexes soit complexe, cela tient aux sentiments, il y en a même qui appellent ça la littérature, car on ne peut pas tout simplifier, ai-je dit en préambule, et n’allez pas croire qu’un sujet, un verbe et un complément ne puissent pas être à eux seuls d’une effroyable complexité, elle est morte par exemple, contient bien des méandres, mais on n’en est pas là, on en est, dis-je, en expirant, on en est à la bonté. »

Il est fortement question d’art dans ce récit, non pas juste évoqué, décrit ou expliqué, mais plutôt de sa justification, de ce qui sous-tend sa raison d’être. Pas toujours explicites, ces œuvres choisies, à l’image de celles qui de nos jours remplissent les musées d’art contemporain. Nombre de mises en scènes mettant en relief la condition féminine apparaissent au gré de ses recherches. En reculant dans le temps, en 1971 par exemple : Faith Wilding, psalmodiant sur une vidéo une longue litanie de phrases autour du mot « Attendre ». Toujours quelque chose de vrai, quelque soit l’œuvre de l’artiste, aussi étrange, maladroite, confuse soit-elle… Quelque chose qui nous parle. 

Elle dit avoir fait l’inventaire de toutes ces robes de mariées, ces robes blanches : elles sont nombreuses dans la production artistique. A chaque artiste femme sa vision de l’objet : changement de statut social permettant une ascension sociale, comme chez Joana Vasconcelos, ou révolte contre toute formes de règle, de hiérarchie, établies par les hommes comme l’a représentée Niki de Saint Phalle (ci-dessous).

Si le doute subsiste dans l’esprit de la narratrice, c’est parce qu’elle ne peut imaginer le malheur de sa mère, un malheur somme tout assez banal. Les temps n’étaient pas ceux de maintenant. Son divorce, dans les années 70, ce fut l’affront, l’outrage d’un homme qui non seulement la quitta sans ambages mais qui se fit passer pour l’offensé et non l’offenseur et qui la discrédita aux yeux de tous. Rien n’existait pour qu’elle puisse se défendre. Une mise à mort… psychologique.

Rien n’est vraiment dit mais tout est à interpréter, à incorporer dans ces pages… Les œuvres d’art sont là comme de puissantes métaphores, celles des émotions traversées. Ainsi en va-t-il encore de cette installation d’Urs Fischer représentant la liberté, un espace « à vous couper le souffle » !

Il n’est pas dit si la mère s’est trouvée consolée par le témoignage de sa fille, mais l’écrivaine s’est sentie libérée. Par les mots posés sur la page, elle a réglé quelque chose de son histoire maternelle. Le pouvoir de la littérature est-il de cet ordre-là ? Bien évidemment. Mais il y a plus, ici, dans « La robe blanche »A sa manière, Nathalie Léger crée un concept de littérature. A rapprocher de ce que nous offre l’art contemporain, où le sens n’apparaît pas directement. C’est la raison pour laquelle il n’est pas aisé d’entrer dans l’échafaudage de ses écrits. Images et mots, description d’images et transcription de son expérience se juxtaposent et c’est au lecteur, à la lectrice, d’en décrypter le sens, de découvrir ce qu’elle cherche à nous dire… avec quelquefois le sentiment qu’elle-même ne sait pas trop. Une sorte de performance de l’ordre de l’intime qui explique ce style spontané, vif et actuel. Mais quand on a compris son cheminement, sa construction… c’est ébouriffant de vérité.

Ce regard sur la destinée des femmes, à la fois intime et universel, on ne l’oubliera pas.

Chantal Lévêque

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