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Publié par Christian Di Scipio

Questions à Michel Adroher

Michel Adroher, professeur de langue et littérature du Moyen Age à l’université de Perpignan, est le lauréat du prix Vendémiaire 2013 avec « Les Troubadours roussillonnais ». Il a présenté son livre le 5 octobre à Rivesaltes. Interview

Vous avez exhumé d’un certain oubli ces troubadours roussillonnais ignorés du grand public à l’exception de Guillem de Cabestany. Comment s’explique cette méconnaissance de tout un pan de la culture catalane ?

Il y a plusieurs raisons à mon sens. On notera que des universitaires s’intéressent aux troubadours en Espagne, en Italie mais aussi en Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis et au Canada. Alors qu’en France, dans ce domaine on est très en retrait. Pourquoi ? J’y vois une raison idéologique : pour la République française les autres langues que la langue nationale n’existent pas. Sous l’Ancien Régime, il y avait une mosaïque de langues et de dialectes. La Révolution a tenu un discours xénophobe à l’égard des langues régionales et étrangères. Cette position a marqué la suite des événements : la littérature et l’histoire ont été mises au service d’une idéologie, celle de la France une et indivisible. Je me définis comme un Girondin qui considère qu’il serait temps de reconnaître la diversité linguistique et culturelle de la France.

La difficulté d’annexer à la culture française la poétique des troubadours ne réside-t-elle pas aussi dans le fait qu’ils s’exprimaient en occitan ?

C’est un autre aspect de cette idéologie jacobine qui refuse que la littérature française puisse s’exprimer à la fois en français et en occitan. Y a-t-il un vrai problème à cela ?

Pour vous cette littérature des troubadours roussillonnais est donc partie intégrante de la littérature française au même titre que les œuvres écrites en catalan d’auteurs des Pyrénées-Orientales comme Jep Gouzy ou Pere Verdaguer ?

Il faut défendre la culture catalane roussillonnaise. C’est à nous de le faire ici à Perpignan parce que si nous ne le faisons pas, personne ne s’en chargera à notre place. Mais c’est un fait que la littérature médiévale est coupée de la modernité. La langue d’oc l’est pour les raisons que nous venons de voir et la langue d’oil pour son accès difficile dans le texte original. De plus, je pense que les langues romanes n’ont pas la place qu’elles devraient avoir dans les études. Il n’est pas normal qu’il n’y ait pas une initiation à ces langues dans le cursus scolaire. En France, on a toujours mis en avant le Grand Siècle, le XVIIe, en matière de littérature à l’image de la Révolution qui a encensé le classicisme et a rejeté tout le Moyen Age.

Venons-en à l’objet de votre travail : les troubadours roussillonnais. Ils ne sont qu’une poignée. C’est étonnant parce que le nombre de troubadours dans les Pays de langue d’Oc sur la période s’étalant sur les XIIe et XIIIe siècles est très important.

Oui, je n’ai pas le chiffre précis en tête mais on en dénombre plusieurs centaines. Il est certain que de nombreuses œuvres ont été perdues et que certains troubadours catalans ont été oubliés, mais ce phénomène se retrouve dans toutes les régions, que ce soit le Languedoc, la Gascogne, l’Auvergne ou l’Italie. On peut aussi noter que de nombreuses monographies ont été consacrées aux troubadours de ces pays occitans, alors qu’il y a eu très peu d’études savantes émanant de Catalans du sud. On retiendra tout de même le travail d’Amédée Pages, au début du XXe siècle sur Ausias March, poète valencien du début du XIVe siècle, mais c’est un cas isolé. Les historiens occitans se sont préoccupés des troubadours de leur région sans doute parce qu’ils avaient assez de grain à moudre chez eux sans avoir à s’intéresser aux Catalans.

Puisque nous en sommes à évoquer la langue des troubadours, pourquoi les chanteurs catalans composaient-ils leur chanson en occitan et jamais en catalan alors que les deux langues étaient déjà différenciées ?

Effectivement les règles du catalan littéraires avaient été fixées par Ramon Llull à la fin du XIIIe siècle, mais le catalan était considéré comme la langue de la prose. La langue de la chanson et de la poésie restait l’occitan.

Les Catalans comprenaient les chants en occitan ?

Sans aucun problème. Occitans et catalans se connaissaient. Ils se rencontraient et communiquaient facilement.

Qu’en est-il de cet amour courtois chanté par les troubadours qu’on présente souvent comme des amoureux platoniques. Est-il vrai que, par principe, ils ne « concluaient » jamais avec des belles châtelaines qui les inspiraient?

Certains historiens par dérision, on parlé d’amour discourtois, pour montrer que la « fin ‘amor » n’était pas que platonique. En fait, les troubadours pratiquent une poésie du désir qui s’exprime à travers certains codes et dans l’esprit du temps, la littérature est en dehors de la réalité. Que les choses aillent plus loin que les belles paroles, c’est possible. En théorie, on peut dormir ensemble mais on doit se contenter de s’effleurer.

Les troubadours naviguent entre réalité et légende à l’image de Guillem de Cabestany que la tradition, présente comme ayant été un tué par un seigneur jaloux. Boccace, dans le Décaméron, a popularisé cette histoire.

Oui, cette légende veut que le seigneur de Château Roussillon, jaloux de la cour que faisait Guillem de Cabestany à sa femme Saurimonde ait tué le poète et donné ensuite son cœur à manger à son épouse. A la fin du repas il lui dévoile que le mets délicieux qu’on vient de lui servir est le cœur de son amant préparé avec art par son cuisinier. Saurimonde, horrifiée se suicide en se jetant du haut du donjon. Dans la réalité, on sait que le destin de Guillem de Cabestany n’a rien de commun avec cette histoire.

A propos de réalité, le lien entre seigneur et troubadour peut s’avérer beaucoup plus prosaïque.

Oui, par exemple l’historien médiéviste Georges Duby, développe une théorie selon laquelle la meilleure façon de s’attirer les bonnes grâces d’un seigneur est de chanter la beauté de son épouse et le désir qu’elle suscite chez les poètes. Et là le seigneur n’est pas dupe.

Pour vous, ce livre était nécessaire car il met enfin à la disposition du grand public un pan ignoré de la culture roussillonnaise. Vous ne cachez pas la joie de l’avoir écrit.

Et aussi d’avoir reçu ce prix des Vendanges littéraires . Un prix, c’est une façon de voir son travail reconnu. Mon travail est un point de départ pour la promotion des langues romanes qui constituerait la meilleure défense du français face à l’anglais. Par exemple, le catalan est une langue-pont entre la France et l’Espagne. Conservons-le. Il nous permet d’accueillir les gens du Sud dans leur langue et par ailleurs de proposer à tous les gens venus du Nord autre chose que ce qu’ils connaissent à Paris ou en Normandie. Il faut conserver notre particularisme, celui de notre art de vivre comme celui de notre langue.

Recueilli par Christian Di Scipio

 « Les troubadours roussillonnais » est édité aux Publications de l’Olivier dont le siège est à Pézilla-la-Rivière. Notons que Michel Adroher réalise un beau doublé puisqu’il obtient aussi avec ce livre le prix Méditerranée Roussillon.

« Les troubadours roussillonnais » est édité aux Publications de l’Olivier dont le siège est à Pézilla-la-Rivière. Notons que Michel Adroher réalise un beau doublé puisqu’il obtient aussi avec ce livre le prix Méditerranée Roussillon.

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