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Publié par Bernard Revel

"Divagalâmes" de Michel Gorsse, illustré par Bernard Combes, Prix Vendémiaire 2011 des Vendanges littéraires. Eleveur de chevaux à Mantet et écrivain, Michel Gorsse est l'auteur de : "Le chemin des chants d'oiseaux" (2005), "Ni loup ni agneau : yéti !" (2009), "Tsiin Tsiguidi", récit d'un voyage en Mongolie (2012). Il est l'un des fondateurs de la revue La Licorne d'Hannibal (contacts : lacavale@wanadoo.fr).

("Asile poétique", Cercle des Authentiques Cabochards de l'If, Elne, 110 pages, 15 euros)

Victor Hugo se félicitait d’avoir mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Il est vrai qu’en son temps, un bon dépoussiérage du vocabulaire, ce n’était pas du luxe. Les mots étouffaient sous des siècles d’académisme. Heureusement, les poètes sont passés par là, et les voyous, les titis, les filles de joie, les banlieusards aussi. Ils en ont connu des révolutions, les mots ! « J’ai bu du Waterman et j’ai bouffé Littré », proclamait Léo Ferré. Il n’était pas le seul. Le « vieux dictionnaire » hugolien ne reconnaîtrait plus les siens s’il hantait encore les bibliothèques. Des dictionnaires, il y en a aujourd’hui de toutes sortes : les rimes, les synonymes, les citations, les maladies, le droit, l’argot et j’en passe, en ont tous un ou plusieurs. Il y a même des dictionnaires amoureux. C’est l’époque qui veut ça : on répertorie, on classe, on définit, on analyse, on compare. Rien dans l’univers des mots ne semble plus devoir échapper à notre vigilance. Et pourtant.

Tout cela n’est que la partie visible de l’iceberg. Un vaste territoire restait à explorer. Dès qu’on y pénètre, on se rend compte qu’on ne peut compter sur aucun guide. Et pour cause. Nous entrons dans la forêt vierge des mots, là où règne l’imagination. Ici, tout est permis. Ceci, par exemple. « Avant de se faire bitouner par cette féenéante, le gominet n’aurait pas dû apérorer. Pour ce sauvagin scontané ce fut la baisérina. Il n’était qu’un libidon tout juste bon à urimer avant la ménoprose. Amantable pinart ! »

Si, comme je le suppute, la plupart des mots contenus dans ce texte vous échappent, n’allez pas chercher leur définition dans les dictionnaires existants. Ce serait peine perdue. Un seul homme en détient les clés. Il s’appelle Michel Gorsse. On le savait poète et éleveur de chevaux à Mantet. Il est aussi inventeur de mots. « Poète, prends ton vers et fous-lui une trempe », disait encore Léo Ferré. Gorsse prends des mots, les accouple et leur fait des petits en pagaille. Ils sont contenus dans son dictionnaire, intitulé « Divagalâmes », première pierre d’un pont sans fin que nous pouvons construire avec lui si ça nous chante. Au plaisir de déambuler parmi des mots qu’aucune langue avant lui n’avait tourné une seule fois dans sa bouche, s’ajoute la délectation de découvrir les définitions qu’il en donne. Mais son entreprise n’est pas aussi farfelue qu’elle en a l’air. Le rire repose sur la logique et le sens, deux piliers du vocabulaire gorssien.

D’ailleurs, si vous prenez la peine d’étudier le texte que je vous ai soumis plus haut, vous remarquerez que chaque mot inconnu est constitué de mots plus ou moins familiers. A partir de là, et avec un peu d’imagination, peut-être arriverez-vous à approcher les définitions qu’en donne Michel Gorsse. Les voici, afin que tout s’éclaire :

Bitouner : Choyer amoureusement le pénis.

Féenéante : Femme fatale.

Gominet : Ephèbe bien coiffé.

Apérorer : Faire le cador un verre à la main.

Sauvagin : Amant endiablé.

Scontané : Dont la bêtise est sans détour.

Baisérina : Rapport sexuel calamiteux.

Libidon : Éjaculateur précoce.

Urimer : Pisser de la rime comme s’il en pleuvait.

Ménoprose : Arrêt définitif de l’acte d’écrire.

Amantable : Piètre amant à la triste libido.

Pinart : Artiste qui vit dans un tonneau.

Il y en a des dizaines comme ça, répartis en une centaine de pages illustrées dans le même esprit par Bernard Combes qui donne, avec sa logique d’artiste, ses propres définitions graphiques. Son trait précis emprunte au réalisme pour mieux le dépasser en faisant subir aux mots un dérèglement de tous les sens que n’eût pas renié Rimbaud. Combes ne se contente pas d’illustrer. Il propose sa vision. Son « je » est un autre. Il rivalise d’imagination avec Gorsse.

Ce n’est pas un bonnet rouge que « Divagâlames » met aux vieux dictionnaires. C’est un string, que dis-je, une guêpière, enfin quelque chose qui déshabille les mots, leur donne un je ne sais quoi de sexy, et fait naître une envie irrépressible de les trousser à notre fantaisie.

Comme l’écrit savamment Gérard Salgas dans sa préface : « Loin de tomber dans une bouillie babélienne, c’est ici une langue régénérée, revivifiée dans une dynamique d’ouverture, de conquêtes nouvelles où se déploient arrière-plans, panoramas et perspectives sans fin. »

Un conseil : procurez-vous le « Gorsse-Combes ». Et faites en sorte de l’avoir toujours à portée de la main. Quand les tracasseries, les noires pensées, l’ennui commencent à peser sur vous comme un couvercle, ouvrez au hasard ce dictionnaire jubilatoire. Vous vous sentirez plus léger.

J’en ai fait l’expérience en écrivant cette « chrolique » (terme journalistique désignant, selon Gorsse, un « petit texte qui presse »). Je me sens libéré d’un grand poids, je vous assure.

Bernard Revel

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