Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Bernard Revel

« A la tombée du jour », CD publié sous le label Acte Préalable. Poèmes de Jean Soler, musique de Joanna Bruzdowicz.

Elle avait 23 ans, étudiait la musique et voulait obtenir une bourse pour se perfectionner dans la composition en France. Lui était directeur du Centre de civilisation et d’études francophones de l’université de Varsovie. Il avait 33 ans. Joanna Bruzdowicz rencontre Jean Soler et sa femme Maria en 1966. Grâce à lui, elle se retrouve bientôt à Paris où, sous la direction de Nadia Boulanger, Olivier Messiaen et Pierre Schaeffer, elle acquiert en deux ans la maîtrise pour se lancer dans une carrière internationale. Mais la France restera désormais sa seconde patrie, même si, mariée à Horst-Jürgen Tittel, conseiller à la Commission européenne, elle vivra 25 ans à Bruxelles. Elle compose des œuvres de chambre, des symphonies, des opéras, et, passionnée aussi de sons électroacoustiques, crée pour le cinéma et la télévision. A partir de 1985, elle travaille avec Agnès Varda, signant la musique de plusieurs de ses films dont « Sans toit ni loi » et « Jacquot de Nantes ». Naturalisée française, elle s’installe en 2001, avec son mari retraité et ses fils, à Taillet dans les Aspres. Elle crée le Festival internationale de Musique en Catalogne à Céret.
Les hasards de la vie lui font retrouver Jean Soler qui, après une belle carrière de conseiller culturel dont les étapes décisives furent Varsovie, Téhéran et Tel-Aviv, est revenu au pays catalan en 1993 - il est né à Arles-sur-Tech - et se consacre, dans sa maison de Montesquieu, à l’écriture d’essais qui analysent, à partir d’une nouvelle lecture de la Bible, les origines du Dieu unique et la violence monothéiste.
J’ai fait la connaissance de Joanna chez Jean Soler devenu mon ami vers 2003 après la parution de « La loi de Moïse ». Je me souviens d’une soirée sur la terrasse, rythmée pas une voix puissante au bel accent polonais qui nous racontait d’interminables histoires tragicomiques de virtuoses paumés dans quelque capitale du bout du monde. Même Jean, si éloquent d’ordinaire, en restait bouche bée. Il émanait de cette femme une énergie peu commune. Sa musique lui ressemble, ai-je constaté plus tard. D’inspiration contemporaine, elle vous atteint par vagues puissantes qui portent les sentiments au plus haut puis retombent sur la grève tout en gardant leur charge émotive.
Après avoir terminé son œuvre d’exégète (sept livres publiés entre 1993 et 2016), Jean Soler, affecté par la maladie et le décès en 2017 de sa femme, s’est replié sur lui-même, dans une démarche philosophique dont les fruits furent de courts poèmes et des aphorismes. C’est ainsi qu’est né « A la tombée du jour », méditations d’un sage en attente de la mort : « Je sens de plus en plus que je suis / Un survivant illégitime… Nature accorde-moi / Quelques lampées de joie / Quelques-unes encore / Avant que je te rejoigne / Dans l’inanimé… Le temps qu’il me reste à vivre / Je souhaite qu’il ne soit pas long… Je voudrais que ma vie s’en aille / Sur la pointe des pieds / Hier j’étais là / Aujourd’hui non / Et la terre poursuit sa course autour du soleil. »

Ayant pris connaissance de ces poèmes, Joanna dont le mari venait de décéder, en fut bouleversée. Elle décida de les mettre en musique. Le 5 septembre 2018, assis à côté d’elle et de Jean au théâtre de Céret, j’ai écouté « A la tombée du jour » interprété par le duo Canticel. La troublante voix de contralto de Catherine Dagois, accompagnée à l’orgue par Edgar Teufel, exprimait toute l’émotion d’une musique sépulcrale qui semblait envoûter le public. La mort était palpable mais sans la tristesse qui l’entoure souvent, la parole du poète dans la beauté du chant résonnant au contraire comme un réconfort : « Je n’aspire qu’à passer en paix ».
Jean Soler vécut alors dans l’attente que la promesse de Joanna se réalise : enregistrer « A la tombée du jour » en français et en polonais, langue qu’il affectionnait. Mais la mort qu’il espérait l’a surpris, à la suite d’une chute, le 16 juin 2019. Le CD est sorti en mars 2020. La partie française fut enregistrée au studio IDEM du Soler, avec, bien sûr le duo Canticel, et, comme récitant, la voix émouvante d’Yves Daoudal-Soler, fils de Jean et de Maria. La version polonaise fut enregistrée à Varsovie par Jaroslaw Brek, magnifique voix de basse-baryton, Tomasz Jocz au piano et, disant le texte, le comédien Jerry Radziwilowicz.
Touchant témoignage d’une amitié qui résista à l’épreuve du temps, ce CD est aussi un bien précieux pour tous ceux qui ont aimé Jean et se sentent ou se sentiront, à travers ses écrits, en accord avec sa conception de la place des humains dans la nature.
Joanna Bruzdowicz s’est éteinte le 3 novembre 2021 à Taillet, vingt mois après avoir tenu la promesse faite à Jean.

Bernard Revel

On peut lire dans ce blog plusieurs articles consacrés aux livres de Jean Soler.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article