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Publié par Bernard Revel

Le principal défaut qui guette écrivains, scribouillards et autres pratiquants plus ou moins doués de la plume, c’est le tic. Personne n’est à l’abri. Moi le premier. Je fais la chasse à mes tics pourtant mais je suis sûr que certains m’échappent. On ne voit bien que les tics des autres.
Les journaux sont des mines de tics. Un de mes chefs, dans le temps, ne pouvait pas écrire un article sans caser au moins une fois « tant il est vrai que ». Il n’avait pas besoin de signer. Il avait trouvé là sa marque de fabrique. Chaque journaliste a la sienne. L’un ne peut s’empêcher de trouver le moindre événement « incontournable ». Un autre voit des « problématiques » partout. Je m’étais découvert un tic, moi aussi, à une époque. Je concluais souvent mes articles par un point d’interrogation qui se voulait subtil. J’ai fini par comprendre que la subtilité, quand elle devient répétitive, c’est plutôt lourd. J’ai supprimé les points d’interrogation pour les remplacer sans doute par d’autres tics que tout le monde repère sauf moi.
Les tics sont souvent des clichés ou des lieux communs. Combien de fois lit-on dans les journaux qu’un événement est « sans précédent » ou « historique », que « rien ne sera plus comme avant » ou que « rien n’est joué », que « le bonheur est dans le pré » ou qu’« un malheur n’arrive jamais seul » ? Les réunions sont souvent de la dernière chance et les marges de manœuvre étroites. Les journalistes adorent « donner des clés » pour comprendre et n’omettent jamais d’évoquer, selon la circonstance, « le devoir de mémoire » ou « le travail de deuil ». Sous leur plume, l’heure est grave, les temps sont durs, la ficelle est grosse, la coupe est pleine et les carottes sont cuites. Il y a des tics à la mode chez les éditorialistes. Longtemps, ils semblaient s’être donné le mot pour appeler à « ne pas insulter l’avenir ». Quand une expression nouvelle frappe par son originalité, elle devient rapidement un tic. Françoise Giroud fut la première à dire : « On ne tire pas sur une ambulance ». Depuis, on n’a pas cessé de ne pas tirer dessus.
Du langage courant à la littérature, les clichés sont partout. Dans son « Exégèse des lieux communs », Léon Bloy en commente avec esprit et férocité un grand nombre tels que « le soleil luit pour tout le monde », « on ne peut pas être et avoir été », « attendu comme le messie », « si jeunesse savait… », etc. Les tics sont si nombreux, en vérité, qu’il est impossible d’y échapper. Certains sujets, par exemple, attirent les mêmes verbes : les yeux « éclairent » un visage, une moustache le « barre » et un sourire le « fend ».
Innover devient difficile pour un styliste. Peu d’écrivains m’ont autant surpris et mis en joie que Joseph Delteil. Il avait bien raison de dire : « J’ai utilisé ma langue et non la langue des autres ». Chez lui, la phrase étonne : « Ce matin l’œil est le prince du monde », « Jeanne d’Arc vint au monde à cheval, sous un chou qui était un chêne », « Je suis chrétien, voyez mes ailes, je suis païen, voyez mon cul », « J’écris comme on peint à Lascaux », « Le style c’est du strip-tease : j’élimine, j’ôte, je dévoile – jusqu’au nu ». Bref, comme il dit, « on ne se baigne pas deux fois dans la même langue ». Autre styliste d’exception, Georges Brassens aimait bien détourner un cliché pour en faire une image neuve : « Une fesse qui dit merde à l’autre », « Il n’y a vraiment pas là de quoi fouetter un cœur ». 
Les auteurs d’aujourd’hui, en général, se méfient du style. Ils fuient les adjectifs, les phrases longues, les métaphores. Certains même suppriment les verbes. Les critiques adorent. Ils appellent cela une écriture « sans graisse », « à l’os », expressions tellement rabâchées qu’elles sont, elles aussi, devenues des clichés. Il est vrai que se lancer dans la recherche d’un style très personnel, comme jadis Giono, Ramuz ou Céline, c’est plutôt casse-gueule. La plupart des écrivains ne s’y risquent pas. Ils se vautrent plutôt dix fois, cent fois dans la même langue. Chez eux il y a du fond peut-être mais pas de la forme. Ils se méfient de l’image jamais vue. Si, par accident, ils en trouvent une, ils s’empressent de l’effacer. Quel déshonneur ce serait pour eux de passer pour des maniaques du style, des ciseleurs de phrases. Leur réputation en pâtirait. Ils préfèrent utiliser des formules qui ont déjà fait leurs preuves. Plus c’est plat, mieux c’est.
Le tic est le summum de la platitude. Des formules usées jusqu’à la corde (tiens, un cliché !), lues partout ailleurs, des phrases qui sont de tout le monde et de personne, de l’impersonnel du début à la fin, tel est le but à atteindre. Quel ennui ! « Il y a deux catégories d’écrivains : les sauvages et les domestiques », disait Joseph Delteil. Mais où sont les sauvages d’aujourd’hui ? (Et voilà, je termine ma chronique par un point d’interrogation. C’était bien la peine…).

Bernard Revel

Illustration : Joseph Delteil volait au-dessus des tics (D.R.)

 

 

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Commenter cet article
B
Oh que oui ! Le tic est toc, voilà le hic. Combien d'écrivants, plus qu'écrivains, tic taquent sur leur clavier entre Joseph Delteil et Jules Renard sous le magistère de Châteaubriant ! Je sais, j'ai donné.
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P
Je crois qu'à la base, il faudrait revenir aux fondamentaux pour faire bouger les lignes. Du coup, on serait tous impactés...
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