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Publié par Bernard Revel

Sa mort, le 28 septembre 1950, n’avait pas tellement secoué la République des Lettres. Brisé par une blessure de guerre qui l’atteignit le 27 mai 1918, Joë Bousquet est resté tout le restant de sa vie cloué dans un lit ou dans un fauteuil. Dans sa chambre de la rue de Verdun ou dans ses demeures d’été à La Palme et à Villalier, il a trouvé sa deuxième vie dans l’écriture. Immobile, il a bâti avec des mots un univers monumental, il a vaincu l’espace par le langage, il a fait venir à lui tout ce que l’époque comptait de grands esprits.
Dans L’Indépendant annonçant sa mort, Jean Fourès rend moins hommage à son œuvre qu’à la vie qu’il s’était construite dans la chambre de Carcassonne où défilèrent Jean Paulhan, « semblable à un grand lion noir », André Gide et « sa haute stature », Paul Valéry, « la démarche raide », Colette, redistribuant « très personnellement l’appartement », Julien Benda « apportant l’esprit de Voltaire et les cheveux de Sénèque », et « des jeunes poètes » qui avaient pour nom Eluard et Aragon.
Mais ce qui impressionnait le plus Jean Fourès, c’était de voir dans cette chambre, devenue aujourd’hui un haut lieu de culture, « la haute figure de François-Paul Alibert ». Car, ajoutait-il, « parmi les œuvres du grand classique qu’est François-Paul Alibert, il faudra compter l’épanouissement de cette vie spirituelle à laquelle il a eu tant de place ».
Depuis, le « grand classique » est tombé dans l’oubli et Joë Bousquet ne sort que par intermittence d’un persistant purgatoire. 
Ainsi, en 1979, grâce à René Nelli, le philosophe et poète carcassonnais qui fut son ami, et aux éditions Albin Michel, deux volumes de 500 pages chacun, réunissant toute son œuvre romanesque devenue introuvable, provoquèrent un regain d’intérêt pour l’auteur de « Traduit du silence ».
Entré en littérature en 1925 avec la publication sous le pseudonyme de Pierre Maugars d’un ouvrage consacré à François-Paul Alibert, il avait vu, de son vivant, une vingtaine de ses œuvres éditées. Puis, de 1952 à 1979, une nouvelle vingtaine de titres, dont plusieurs recueils de lettres, ont maintenu discrètement sa présence littéraire. De nouvelles générations découvraient Bousquet sans pouvoir toutefois explorer l’essentiel de sa production, à savoir les grands livres qui, parus avant sa mort, étaient depuis longtemps épuisés.

René Nelli, en publiant en 1975, un remarquable « Joë Bousquet, sa vie, son œuvre » avait ouvert la voie, suivi, en 1978 par la publication d’un roman peuplé de contes se déroulant au village marin de La Palme : « Le Roi du Sel ». Il était donc temps qu’arrive l’intégrale de l’œuvre romanesque sous la forme de deux pavés ornés, l’une du surprenant portrait de Langrune représentant Bousquet en casquette de voyou, l’autre, du visage pensif peint pas Camberoque. Deux portraits qui nous invitaient à nous plonger dans un monde intérieur qui, parmi dix-sept titres, comptait « La fiancée du vent », « Une Passante bleue et blonde », « La Tisane de sarments » (en deux versions dont l’une était inédite) « Le Passeur s’est endormi », « Le Meneur de lune », « La Neige d’un autre âge » (seule œuvre posthume publiée en 1952).
Ces deux volumes invitaient à un long et ardu voyage de mille pages. René Nelli qui accomplit pour cette édition un énorme travail, présentait chacun de ces textes.
Les éditions Albin Michel n’en restèrent pas là. Elles publièrent en 1982 un troisième volume (500 pages de plus) qui comportait des textes inédits que Bousquet ne destinait pas à la publication. Ce sont, expliquait René Nelli, des ébauches, des essais dont « l’intérêt majeur est de permettre une connaissance plus complète des conceptions de Bousquet touchant la poésie et le langage ».
« Il n’y a peut-être pas d’écrivains français – Paul Valéry mis à part – qui aient accumulé une somme aussi vaste de méditations sur l’expression littéraire en l’accompagnant d’une telle richesse d’exemples et applications. Toutes les façons de dire, toutes les façons de forcer l’obscur et l’irrationnel à devenir langage ont été pressenties ou pratiquées par Bousquet », écrivait encore René Nelli pour justifier la publication de ces textes et marquer leur importance.
Ce volume comprend quatre parties. Il s’ouvre sur les Contes du cycle de La Palme dans lesquels Bousquet utilise des souvenirs et des récits de son enfance avec le double souci d’une recherche esthétique et philosophique.
On aborde ensuite le « Cahier Rabane II » présenté par Kathy Barasc. Il s’agit d’un journal écrit de Noël 1945 à Toussaint 1949.
La troisième partie, joliment intitulée « La marguerite de l’eau courante », est présentée par une des femmes dont fut épris Joë Bousquet : Ginette Augier. La quatrième partie enfin, « Le journal dirigé », commentée par Christine Michel, professeur d’université en Australie, « traduit l’entrée de Bousquet dans l’ombre et l’attente de la mort ». C’est dans cet « important » journal que Bousquet fait pour la première fois, en dehors des lettres intimes, le récit de sa blessure.
Un quatrième volume fut enfin publié en 1984. Il comprend deux inédits qui, intitulés « Le Livre heureux » et « Journal littéraire », expriment, selon sa préfacière Christine Michel, « l’exploration de la vie par ce que la vie a de plus invécu ».

Les éditions Albin Michel avaient frappé fort dans les années 80 sans toutefois réussir à installer Joë Bousquet à la place qu’il mérite au panthéon de la littérature.
Quarante ans ont passé et, à nouveau, l’écrivain sort de l’ombre d’une façon spectaculaire avec une biographie en trois tomes dont le premier vient de paraître : « Joe Bousquet, d’une mort l’autre. 1. Mourir ! (1897-1918 » (éditions Claire Paulhan). Son auteur : Paul Giro, né à Carcassonne en 1950. Affaire à suivre.

Bernard Revel

Le portrait de Joë Bousquet dans sa chambre a été réalisé en janvier 1944 par Gabriel Sarraute.

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