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Publié par Bernard Revel

« Carcassonne. Cité, Bastide et alentours », texte de Patrice Teisseire-Dufour, photographies de Paul Palau.

Empreinte Editions, 207 pages, 34€. Nombreuses photographies, format 20x30 cm.

Longtemps la Cité de Carcassonne ne fut pour moi qu’un fond de paysage. Pourtant, je suis né à ses pieds, au bord de l’Aude, tout près du Pont-Vieux, dans la maternité aujourd’hui disparue. Il m’a fallu des années pour aller sur l’autre rive et m’approcher d’elle.
Longtemps j’ai regardé de loin cette « forteresse couleur de nuage » dont parle un facteur poète à Jean Tout Petit dans un joli conte de Joë Bousquet.
Du haut de la Malepère, au hasard des trouées de la Montagne Noire ou en passant sur le Pont-Neuf, je savais qu’elle serait toujours au rendez-vous de l’Aronde de mes parents qui dévorait les kilomètres dominicaux en tournant autour d’elle comme un gros scarabée bleu.
Ses tours pointues, ses murailles crénelées, aussi bien dessinées qu’un décor de cinéma, m’intriguaient. Comment une telle forteresse a-t-elle pu franchir sans dommages sièges, croisades, assauts et représailles ? Ne devrait-elle pas être une ruine dont les fragments épars livrés aux broussailles attesteraient de son histoire héroïque ? Je soupçonnais que sa formidable architecture n’était qu’une piètre arme de dissuasion et que, lorsque soufflaient les vents mauvais faisant tourbillonner autour de sa colline Wisigoths, Sarrasins, Francs ou croisés, ils s’engouffraient un peu trop vite à travers barbacanes et ponts-levis.
Inspiré par Joë Bousquet, j’appelais la Cité la fiancée du Cers. Exposée au puissant vent d’ouest qui vient de Toulouse, elle joue avec lui, se laisse caresser, saoule de sa musique. Mais un jour les bourrasques la culbutent et la balaient de fond en comble jusqu’à ce que le nouveau remplace l’ancien, préservant de la sorte son âme de Pucelle.
Elle ne résista que quinze jours pour que, dans la couche encore chaude du vicomte Raymond Roger de Trencavel qu’elle allait laisser crever dans une fosse, se vautre le chef des croisés Simon de Montfort. La Cité n’eut pas pour protéger les cathares le sens du sacrifice qui fit de Montségur un bûcher toujours brûlant.
Elle avait pour moi quelque chose d’irréel. J’y entrais avec le sentiment de traverser le miroir. Dans les lices où j’aimais flâner en m’arrêtant de temps en temps à quelque créneau pour contempler la ville basse, il me semblait parfois que le Cers m’apportait les bribes d’une discussion philosophique entre deux promeneurs qui ressemblaient à Pierre Sire et René Nelli. J’ai vu un jour l’ombre du poète sulfureux François-Paul Alibert passer devant la muraille du grand théâtre qu’il fut le premier, dans les années 1930, à plonger dans le drame shakespearien.
Quand le vent déboule dans la rue du Plô, il a, je vous jure, la voix occitane de Claude Marti mêlée au swing de Charles Trenet qui, s’insinuant d’échauguettes en mâchicoulis, faisait danser le be-bop aux « enfants et grandes personnes ». C’est peut-être pour ça qu’on l’appelait le Fou chantant.
 

Je regrette parfois le temps où, de ma fenêtre, je voyais la Cité. Un Canigou à l’horizon l’a remplacée. Je ne m’en plains pas. Pour la retrouver, il me suffit d’ouvrir le livre d’images de ma mémoire. Mais je viens de réaliser, en feuilletant un vrai livre de papier aux pages panoramiques, que celle-ci avait un grand besoin d’être rafraichie. Je connais ses auteurs : l’écrivain journaliste Patrice Teisseire-Dufour et le photographe Paul Palau, deux arpenteurs de nos grands espaces du Sud dont la collaboration a déjà fait merveille avec des livres comme « Canigou, magie d’une montagne », « Minervois l’enchantement simple », « Corbières, la frontière cathare ».
Avec « Carcassonne » sous-titré « Cité, Bastide et alentours », ils font un inventaire lumineux de la beauté qui nous entoure au cœur du pays dit cathare, évidente et spectaculaire quand il s’agit de la Cité vue de loin ou de près, cachée ou surprenante au hasard de nos pas dans la Bastide ou au bord du canal du Midi. Voilà des guides qui nous entrainent, quand il le faut, hors des sentiers battus, nous donnent à voir des lieux qui, dans le regard du photographe, semblent nés d’un rêve, nous en racontent l’histoire en toute simplicité et avec précision. Quand la Cité et la Bastide n’auront plus de secrets pour vous, laissez-vous accompagner dans quelque village du Carcassès ou ailleurs - Aragon, Lastours, Montréal - à la découverte de « singularités régionales » : Brousses et son moulin à eau, la cascade de Cubserviès, les vieux livres de Montolieu, les carrières de marbre de Caunes-Minervois, pierres blanches entre tant d’autres à dénicher dans la forêt, la garrigue ou « le triangle d’or du carignan » en Minervois.
Ici, vécut le troubadour Pierre de Miraval, là habita la fée Salimonde, dans ce château appelé petit Versailles, le roi Louis XIII passa une nuit, dans cette église haut perchée, Saint-Dominique tint une conférence contradictoire avec les cathares. On passe sans le savoir de l’histoire à la légende par des chemins qui mènent toujours à Carcassonne. Et lorsqu’on s’en va, où qu’on soit, on revient par la pensée à la Cité qui, désormais, se confond, dans le livre de la mémoire, avec les photographies de Paul Palau.

Bernard Revel

Ancien journaliste de l’Indépendant à Carcassonne, Patrice Teisseire-Dufour  (à gauche) écrit à présent à Pyrénées magazine, Cathares magazine et Occitanie magazine. Il est l'auteur d'une trentaine d’ouvrages, certains ayant fait l’objet d’une recension dans ce blog.
Paul Palau est l’auteur d’une quinzaine de livres de photographies. Ses photos sont publiées dans la plupart des magazines du Grand Sud. (Photo La Dépêche).

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