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Publié par Bernard Revel

Un désir d’histoire
L’enfance d’un archéologue. Préface de Daniel Fabre.
(Editions Odile Jacob, 247 pages)

L’aube des moissonneurs
Entretiens avec Laurence Turetti et Georges Chaluleau
(Editions Verdier, 175 pages)

Comment « le fils de l’épicier du coin » est-il devenu professeur au Collège de France ? Ne cherchez pas la réponse dans ce livre sous-titré « l’enfance d’un archéologue ». Autobiographie qu’il qualifie lui-même de « rêveries, coups de cœur, retour sur l’âge tendre », Un désir d’histoire s’attache aux origines modestes de Jean Guilaine et aux lieux qui constituaient, de la naissance au lycée, son univers. Cette enfance pourrait être celle de nombreux Audois, nés à Carcassonne dans la maternité du bord de l’eau, et qui partagèrent leurs vacances entre la campagne et la mer.
 

La campagne, pour Jean Guilaine, c’est Mangounette à Villebazy près de Saint-Hilaire, berceau des grands-parents maternels. La mer, c’est La Nouvelle, où il vient en août avec sa mère pour « respirer l’iode » qui fait grandir, car Jean n’est pas « un hercule ». Mais sa vie de tous les jours se déroule à Carcassonne, berceau de la « branche paternelle », d’abord dans le quartier de la Barbacane, au pied de la Cité, puis au cœur de la ville basse où ses parents ouvrent une petite épicerie rue Voltaire. Il a trois ans quand éclate la guerre, qui lui laisse les souvenirs d’un « formidable terrain de jeux » dans les tranchées creusées sur les boulevards en vue de bombardements qui n’eurent jamais lieu. A la Libération, il a huit ans et assiste de loin aux exécutions de miliciens. Lorsque revient le temps des guinguettes et de l’insouciance, Jean goûte à la liberté en se lançant avec frénésie avec ses copains dans l’exploration de Carcassonne, en écumant foires, cirques, cinémas et fêtes, le tout sur fond de chansons populaires diffusées par la radio.
Une enfance comme les autres, vous dis-je. Mais les vacances arrivent et Jean plonge dans un nouveau décor : « L’envers de la ville, le volet rural de l’existence », écrit-il. « Tout ici semble simple et merveilleux. Entre reliefs, forêts, landes et vignes, cet environnement est resté physiquement et mentalement le mien… Villebazy : la liberté. L’espace à pleins poumons… J’en explore les moindres tènements… La campagne, c’est mon laboratoire, mon poste d’observation de la nature ». Son grand-père collectionne les défenses des sangliers « les plus redoutables » qu’il a abattus. Ces « menus trophées » fascinent Jean. Plus tard, les grottes autour du village n’auront aucun secret pour lui. « Je remonte le temps à ma façon, en observant » écrit-il. « Comment, dans un tel environnement, ne pas avoir la fibre naturaliste ? Celle-ci s’impose à vous ».
Mais ses séjours à La Nouvelle avec sa mère n’ont pas fait de lui un pêcheur, un marin ou un océanographe. Pourtant, ils lui sont chers car liés à sa prime adolescence mêlant des jeunes filles à jupes en vichy aux accents de « Besame mucho » qu’il entendait en passant devant le restaurant chic La Réserve.
Faut-il chercher son « désir d’histoire » du côté du père ? Assurément. La passion pour les événements historiques a toujours habité Raymond Guilaine qui, le soir, à la demande du « tout jeune » Jean, ouvrait son livre d’histoire du certificat d’études, et en lisait, « d’un ton grave de comédien », quelques passages. Bon élève, il trouvera au lycée, auprès du professeur Louis Signoles, « le passeur » qui, au moment où ses parents voyaient s’envoler « leurs espoirs de vie meilleure », le convaincra de s’évader de sa condition « par le travail intellectuel ». Il deviendra archéologue, « passeur de mémoire » à son tour.
 

Une autre vie que Jean Guilaine retrace, l’âge de la retraite venu, dans une série d’entretiens avec Laurence Turetti et Georges Chaluleau publiés sous le titre L’aube des moissonneurs. Son terrain d’élection fut la période de dix millénaires comprise entre la Préhistoire et l’Histoire : le Néolithique, injustement éclipsé, dont il renouvela l’étude et établit définitivement l’importance puisqu’elle marqua le début de l’agriculture, « cette seconde naissance de l’homme ». Canalisées par des questions pertinentes qui lui permettent de brosser, à l’usage du lecteur non spécialiste, un tableau complet de son vaste champ d’investigation et de l’œuvre qu’il a accomplie, les réponses de Jean Guilaine nous replongent dans les Vendanges littéraires 2022 de Rivesaltes lorsqu’il décrivait sous le platane, l’accent audois en prime, les femmes du Néolithique devant un public sous le charme *.
Parmi les nombreux thèmes abordés (l’évolution des outils, les premiers villages, les épidémies, les croyances, etc.), qu’illustre un chapitre étoffé consacré à ses recherches dans le bassin de l’Aude, l’un d’eux est en résonnance particulière avec notre époque : il concerne les « zones d’ombre » de l’archéologie qui ne met souvent au jour que les vestiges des dominants alors que les traces des plus humbles sont perdues. Un « crève-cœur » pour l’archéologue, déplore Jean Guilaine conscient que les temps du Néolithique « ont été aussi ceux où l’homme a mis les mains dans un engrenage qui se solde aujourd’hui par l’anéantissement des milieux naturels, le développement d’inégalités sociales au profit de dominants politiques et économiques ».
Jean Guilaine veut cependant espérer que l’archéologie contribuera à « corriger la trajectoire » de cet « esprit de domination propre à notre espèce » pour que l’humanité devienne « plus avertie et plus vertueuse ». Un rêve qu’aurait partagé l’humble « épicier du coin ».

Bernard Revel

* Lire dans ce blog : Jean Guilaine et la femme plurielle du néolithique.

Illustration de tête : Jean Guilaine (à gauche) avec Laurence Turetti et Georges Chaluleau aux Vendanges littéraires de Rivesaltes. Photo Jean-Christophe Carle (Aglyphoto66).

 

 

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