Dictionnaire amoureux des Audois
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« Ces Audois qui ont fait l’histoire » de Laurence Turetti.
(Le Papillon Rouge éditeur, 262 pages, 21,90 €. Nombreuses illustrations.
Historienne et journaliste, issue d’une famille vigneronne de l’Aude, Laurence Turetti est notamment l’autrice de « Histoire d’un vignoble : Limoux » (Loubatières), avec Georges Chaluleau et, toujours avec ce dernier, d’un livre d’entretien avec Jean Guilaine : « L’aube des moissonneurs » (Verdier). (Portrait ci-dessus : photo La Dépêche)
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Créé il y a 20 ans par Alice Dorques et Hubert Delobette, le Papillon Rouge éditeur, maison établie dans l’Hérault, compte une collection qui recense dans chaque département 50 personnages entrés dans l’histoire. Après Hélène Legrais qui, l’an dernier, avait évoqué avec talent les Catalans, c’est l’historienne et journaliste Laurence Turetti qui s’attaque à présent aux Audois.
L’exercice impose un cadre et des limites. Sélectionner cinquante noms, c’est à la fois trop ou pas assez. Trop si on ne retient que les personnages illustres qui ont vraiment changé les choses ; pas assez si on glisse dans la liste des noms dont la place, n’étant pas évidente, pourrait être occupée par d’autres. Par exemple, pourquoi Déodat Roché et pas René Nelli ? Pourquoi la romancière Magali et pas le prix Goncourt Jean Cau ? Il fallait bien trancher. Et Laurence Turetti s’en est bien sortie, quitte à ruser parfois en réunissant par exemple dans le même article Fabre d’Églantine et André Chénier « unis » par la guillotine.
De Raimond-Roger Trencavel, « héros et martyr » de la croisade contre les cathares, à Charles Trenet, en passant, tous genres confondus, par Armand Barbès, « le Bayard de la démocratie », Charles Cros, poète et inventeur de génie, Paul Sabatier, prix Nobel de chimie, Joë Bousquet, Pierre Reverdy (son portrait par Modigliani ci-dessus) et Joseph Delteil, tous les « grands » Audois figurent en bonne place dans cette anthologie qui a le mérite aussi de réparer l’injustice dans laquelle l’oubli a enfermé certains autres. Ainsi apprend-on que Pontus de la Gardie, de Caunes-Minervois, est devenu vice-roi d’Estonie, et Pierre Cubat, d’Alet-les-Bains, chef-cuisinier des derniers tsars.
Des industriels comme Edmond Bartissol, né à Portel et dont la réussite s’étendit au pays catalan, Jean Bourrel, roi du chapeau qui fit les beaux jours de Quillan ; des combattants en tous genres comme Jean Danjou, « héros de Camerone », Marcelin Albert, « apôtre de la viticulture », le poilu Louis Barthas, tonnelier à Peyriac-Minervois et l’abbé Albert Gau, « juste parmi les nation »; des artistes comme les peintres Achille Laugé et Jean Camberoque, le sculpteur René Iché, ont, eux aussi, contribué à l’histoire du département. Ainsi que quelques femmes, trop rares, comme Françoise de Cezelly, l’héroïne de Leucate, ou Yvette Chassagne, première femme préfète.
Ces multiples destins, Laurence Turetti les restitue avec justesse et les rend attachants, certains, bien sûr, nous touchant plus que d’autres. Je pense en particulier à celui de Benjamin Crémieux, né à Narbonne, un « premier de la classe » qui devint un prestigieux italianiste. Juif et résistant, arrêté et torturé, il mourut à Buchenwald le 14 avril 1944. « Oh, mon Européen de Narbonne », écrivit son épouse en apprenant sa mort.
Joyau de l’Aude au même titre que la Cité de Carcassonne, le canal du Midi traverse le livre de Laurence Turetti grâce à Antoine Niquet, ingénieur royal à Narbonne qui, à la mort de Pierre-Paul Riquet, est chargé de terminer les travaux et de faire les plans du futur canal de la Robine.
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Dans une préface dédiée « à l’Aude des origines », Laurence Turetti cite des femmes qui ne figurent pas dans la liste des « 50 ». En premier lieu, « l’Audoise » néolithique retrouvée par l’archéologue Jean Guilaine dans la grotte Gazel à Sallèles-Cabardès. « Elle serre son enfant dans un poignant geste de tendresse défiant le temps et la mort, parvenu à nous après sept mille ans ».
Plusieurs figures légendaires ont survécu à l’oubli : Claudia Procula, épouse de Ponce Pilate qui serait venue finir ses jours à Narbo Martius (Narbonne) en compagnie de Marie-Madeleine ; la princesse sarrasine dame Carcas qui aurait organisé la résistance de la Cité assiégée par les troupes de Charlemagne. D’autres femmes puissantes du temps du royaume Wisigoth jusqu’au XIIe siècle, sont citées par Laurence Turetti qui conclut son « dictionnaire amoureux » en ces termes : « A l’angle d’une rue de Carcassonne, sur la plage de Leucate ou à l’ombre mauve d’une allée du Razès, peut-être vos pas marcheront-ils dans ceux de ces Audoises et Audois inspirés. Comme chacun de nous aveugles funambules, ils surent donner à leur vie un élan, une grâce particulière et de la beauté souvent. »
Bernard Revel