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Publié par Bernard Revel

D’une rive à l’autre. Hélène Legrais

Calmann Lévy Territoires, 307 pages.   

Au milieu de ses lecteurs, elle rayonne. Quand elle parle de ses livres, elle passionne. Chaque année en novembre, aussi sûr que Noël en décembre, « tombe » le nouveau Legrais. Cela fait 20 ans que cela dure et cela durera, espérons-le, per molts anys encore. Que serait le pays catalan sans elle ? Dans presque tous ses romans, elle le décrit, le raconte, le chante avec amour, le peuple de personnages, réels ou fictifs, confrontés aux événements d’hier ou d’aujourd’hui, acteurs ou témoins, femmes et hommes de bonne volonté souvent, aux caractères bien trempés et dont les aspirations finissent par triompher de tous les obstacles. Car c’est sur l’espoir, la force du bien, la foi en l’humanité qu’Hélène Legrais remet sans cesse son ouvrage. C’est sa marque de fabrique. Son label.
Ecrire, bien sûr. Mais partager aussi. Lorsque « l’enfant » parait, pas question pour elle de le laisser se débrouiller tout seul. Elle accompagne inlassablement ses premiers pas à travers le pays catalan, un jour à Font-Romeu, le lendemain à Port-Vendres, et en tout autre lieu, prestigieux ou modeste, librairie, médiathèque, marché, grande surface, salon du livre, où elle accueille comme autant d’amis ses fidèles lecteurs heureux de la retrouver et ceux qui la découvrent. Bientôt, elle retournera dans la solitude du petit village où elle habite pour concevoir son prochain « enfant », ne quittant l’écran de son ordinateur que pour trottiner dans la campagne - car une ancienne journaliste sportive doit entretenir sa forme physique - ou aller se documenter aux archives départementales. 

Mais ne brûlons pas les étapes. Celui qui compte aujourd’hui, c’est le petit dernier. Il fallait bien qu’Hélène Legrais en vienne à se colleter avec l’un des événements les plus importants qu’ait connu le pays catalan depuis la deuxième guerre mondiale : l’exode massif des pieds-noirs « d’une rive à l’autre ».
Mai 1962. Comme tous les dimanches, à bord du vieux Renault 2T5 à plateau, Emile et Mariette, solide couple de sexagénaires, quittent leur mas du côté de Cosprons pour descendre à Port-Vendres. Elle va à la messe et lui au France où, en l’attendant, il déguste son verre d’orgeat en regardant la mer. « Il m’a l’air bien grand ce bateau », dit-il à Riri, pilier de bar et compagnon silencieux. Rien à voir, en effet, avec les petites barques de pêche catalanes. C’est le Manuel Campillo, dix-neuf mètres de long. Il vient de l’Oranie. Il transporte une trentaine de personnes, avant-garde d’une incessante navette au cours de laquelle, pendant des jours et des jours, des paquebots tels que l’El Mansour, l’El Djezaïr et autres, déverseront des milliers de familles sur le sol français, notamment dans ce petit port catalan où rien ne sera plus comme avant.
Un drame humain qui les dépasse se joue devant les yeux de ses habitants. Emile mettra du temps à en prendre conscience tandis que Mariette, immédiatement, se dévouera pour que ces nouveaux venus qui ne savent où aller, ne soient pas abandonnés avec leurs maigres bagages.
« Port-Vendres était méconnaissable, écrit Hélène Legrais. C’était un tohu-bohu permanent : hululement des sirènes, ronflement de l’hélicoptère, cri des enfants, appels au micro… » Au fil d’un été caniculaire, alors que les touristes insouciants se mêlent à des familles dans la détresse, l’incompréhension et la colère montent parmi les pieds-noirs qui s’entassent dans des chambres ou, l’automne venu, grelottent dans des tentes sans chauffage et prenant l’eau. « On nous a accueillis comme des chiens ! », entend-on.

 

Le 27 mai 1962, le navire El Mansour entre à Port-Vendres avec 900 pieds-noirs à bord. Des centaines de réfugiés débarquent du Président de Cazalet. (Photos Sanchez/ collection Robert Daider).
Le 27 mai 1962, le navire El Mansour entre à Port-Vendres avec 900 pieds-noirs à bord. Des centaines de réfugiés débarquent du Président de Cazalet. (Photos Sanchez/ collection Robert Daider).

Le 27 mai 1962, le navire El Mansour entre à Port-Vendres avec 900 pieds-noirs à bord. Des centaines de réfugiés débarquent du Président de Cazalet. (Photos Sanchez/ collection Robert Daider).

Le sort dramatique réservé aux pieds-noirs est, en quelque sorte, le décor, la toile de fond du roman. Le récit d’Hélène Legrais se concentre, en effet, sur les bouleversements que les événements provoquent au cœur d’une famille, celle d’Emile et Mariette. Ils vivent dans un vallon « au milieu des vignes en terrasses qui descendent jusqu’à la mer en cascade tels les volants de la jupe d’une danseuse de flamenco ».
Une menace va bientôt peser sur ce petit paradis : le retour du frère détesté dont Emile fut toujours le souffre-douleur et qui a fait fortune à Oran. Il a tout perdu et débarque à Port-Vendres avec femme, belle-fille enceinte et petit-fils, en attendant Roger, son fils retardé pour des raisons mystérieuses. Tout ce beau monde, malgré les réticences d’Emile, sera logé dans l’annexe du mas destinée aux travailleurs saisonniers. On s’éclaire encore à la bougie mais les relations entre les deux frères ennemis sont électriques. Un seul mot pourrait déclencher la rupture sinon le drame. Heureusement, la balourdise des hommes est contrebalancée par la finesse des deux belles-sœurs devenues très vite amies et alliées. Et puis, il y a Olivier, le petit-fils, qui s’épanouit à la campagne, entre son « Papilou » Emile et le chien Mailly devenu son fidèle compagnon. Le retour de Roger, sorti d’une douteuse clandestinité pour retrouver les siens, et la naissance d’un enfant dans le mas enneigé, apportent une note d’espoir.
Hélène Legrais donne toujours à ses personnages, même les plus antipathiques, la possibilité d’une rédemption. Au bout des épreuves, entre individus, dans les familles et dans les peuples, il faut croire à la réconciliation. Tel est le message délivré « d’une rive à l’autre ».

Bernard Revel

 

Photo du haut : Hélène Legrais à Port-Vendres (Photo France Bleu Roussillon).

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