Loïc, Valérie, guitares blues
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C’était le 17 juillet 1978 au Festival de la Cité de Carcassonne. Valérie Duchâteau, 12 ans, donnait un concert de guitare. Elle venait de Céret. Fille du professeur Yves Duchâteau qui écrira beaucoup plus tard un ouvrage très documenté sur « la Mecque du cubisme », elle avait découvert la guitare à 9 ans, et ne l’avait plus quittée. Son concert de Carcassonne fut une révélation que confirma sa carrière jalonnée de succès en France et dans le monde. Ouverte à toutes les tendances de la musique, elle avait mis aussi son talent au service de Django Reinhardt, Barbara, Jacques Brel, Marcel Dadi, en plus d’un vaste répertoire classique.
Dans sa discographie, « La guitare chante Barbara » occupe une place à part. « Il aura fallu plus de vingt ans pour que j’arrive enfin à vous parler au travers de ce disque », écrit-elle dans un texte qui s’adresse à celle qu’elle appelle Grande Dame lorsque paraît l’album en 2005. « Dis quand reviendras-tu », « Göttingen », « Nantes », « L’aigle noir », « Ma plus belle histoire d’amour »,les airs les plus célèbres de Barbara sont parcourus avec beaucoup de délicatesse par la guitare. L’interprétation retrouve les résonances fortes des textes, tour à tour émouvante, légère, mélancolique ou enjouée. « J’ai essayé de donner à mes accords l’ambiance des mots », expliquait Valérie. Ce n’était pas facile à adapter. Souvent, ses chansons montent d’un ton d’un couplet à l’autre, ce qui est logique pour le piano. Il m’a fallu imaginer, chaque fois, des solutions. »
Ces paroles que je retrouve dans un vieil article font écho à ce que me disait, il y a quelques jours, un autre guitariste, Loïc Robinot qui, voulant interpréter « Avec le temps » de Léo Ferré, avait eu des difficultés à reproduire à la guitare l’accompagnement fait pour le piano. Grattant aussitôt celle-ci, il m’a montré comment il y était arrivé. N’étant ni pianiste ni guitariste, je n’ai pu qu’admirer sa virtuosité. Car c’est un virtuose lui aussi. Pas seulement de la guitare. Des mots également. Et ça l’avait pris tout jeune.
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Que faisait Loïc Robinot durant l’été 1978, au moment où Valérie charmait le public de Carcassonne ? Il chantait à la fête du PSU à la Courneuve. Il avait déjà la trentaine et roulé pas mal sa bosse depuis qu’en 1960 il était sorti d’un magasin de La Jonquera avec sa première guitare en main. Sa route était tracée. Il compose ses premières chansons en 1966 dans son Morbihan natal puis passe une année en Angleterre comme assistant de français, se produit dans des clubs, et à Cardiff, rencontre un certain Georges Brassens, ce qu’il racontera plus tard dans un livre (1).
Parallèlement à son métier de professeur, sa veine artistique s’impose et résiste au passage du temps, pleine de rencontres, de bonheurs, mais pas toujours rose. Des bleus et du blues, comme le dit le titre de son dernier livre (2), sorte d’inventaire hétéroclite comme la vie, choses écrites et images capturées (la photo, une autre passion), qui racontent des souvenirs, des paysages, des amis, des chats (beaucoup de chats) et surtout des chansons.
Car elles sont le sang qui coule dans les veines du livre. Loïc est ce qu’on appelle un chanteur à texte. Il faut le voir sur scène, l’écouter, voix douce émanant d’un corps d’ours mal léché dont l’œil pétille pour accompagner un jeu de mot, un trait d’humour ou un zeste d’autodérision, mais sait souligner aussi la tendresse qu’il ressent pour les « laissés-pour-compte » ou l’indignation que lui inspirent les « tristes gugusses ».
La lecture de la centaine de chansons, les unes datant des années 1970 à 1990, les autres composées depuis 2011, nous permet de mesurer la grande variété de son inspiration. Des amours d’adolescence à la compassion pour un oisillon défunt, d’un dimanche pluvieux aux enfants de Gaza, de la fleur appelée misère à un pote poète qui lui ressemble, de la déraison des dents de sagesse aux gens qui peuvent vivre sans avoir de cœur, Loïc fait poésie de toutes choses. Au détour d’une chanson on croise Charles Trenet, Lény Escudéro ou Claude Nougaro, mais aussi des chanteurs moins connus qui, comme lui, ne se produisent pas toujours dans de grands lieux.
L’autre jour, j’étais avec lui à Théza dans une salle polyvalente où se tenait un salon du livre. Les auteurs et éditeurs présents n’avaient attiré que peu de visiteurs. Il était prévu que Loïc chante. Il est monté sur scène, s’est assis, a accordé sa guitare. Dans la salle, les gens bavardaient. A la fin de la première chanson, quelques personnes ont applaudi. Il a continué. Deux, trois, quatre chansons. Maigres applaudissements. Il s’est levé, a récupéré son matériel et nous a rejoints sans un mot. La vie d’artiste, c’est ça aussi. Heureusement, il y a parfois de beaux rendez-vous, avec un public nombreux, à l’écoute. Cela vous fait oublier le reste et vous pousse à continuer, malgré les déceptions, vers les prochaines joies, les prochaines rencontres qui ne manquent pas d’advenir tant qu’il y a de la vie et de l’espoir.
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Valérie Duchâteau n’a pas eu cette chance. Elle est morte des suites d’un cancer le 23 novembre 2024, à l’âge de 59 ans. Pour moi, au-delà de la grande virtuose, elle restera l’enfant à la guitare tout de blanc vêtue qui, un soir d’été, avait illuminé les vieux remparts de Carcassonne.
Bernard Revel
(1) « Sur ma route, un certain… Georges Brassens », LR éditions, 2013.
(2) « Bleus et Blues, une vie en chansons », Balzac éditeur, 180 pages.