Vie et mort de Robert Brasillach (1909-1945)
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Condamné à mort le 19 janvier 1945 pour « intelligence avec l’ennemi », l'écrivain et journaliste Robert Brasillach, 36 ans, est fusillé au fort de Montrouge, dix-huit jours plus tard, le 6 février. Il y a quatre-vingts ans. Retour sur sa vie et sa mort.
Il était né à Perpignan le 31 mars 1909. Son père, Arthémile, fils d’un douanier de Canet-village, après des études militaires à Saint-Cyr, épousa, en février 1908, Marguerite Redo, fille d’un fonctionnaire à la préfecture de Perpignan. Peu après la naissance de Robert, alors que Marguerite est enceinte, le lieutenant Brasillach doit partir pour « les colonies », au Centrafrique puis au Maroc sous les ordres de Lyautey. A 4 ans, Robert et sa petite sœur Suzanne accompagnent leur mère pour quelques mois au Maroc, puis rentrent à Perpignan. En novembre 1914, le lieutenant Brasillach et ses soldats sont massacrés par une « tribu rebelle ». Marguerite, recueillie par ses parents, reporte toute son affection sur ses deux enfants. Elle rencontre plus tard un médecin militaire blessé à Verdun, le docteur Maugis, qu’elle épousera en 1918. Toute la famille s’installe à Sens dans l’Yonne.
Robert et Suzanne partageront désormais leurs vacances entre Canet, chez une grand-mère Brasillach pleine de fantaisie, Collioure et Mont-Louis chez la famille maternelle. A 13 ans, Robert écrit des poèmes qui lui valent un prix aux jeux floraux du Roussillon et, en 1924, le Coq catalan d’Albert Bausil publie ses premiers textes comme il publiera en 1926 ceux de Charles Trenet.
En 1925, Robert Brasillach, pupille de la nation, obtient une bourse pour préparer l’École normale supérieure au lycée Louis-le-Grand à Paris. Il a 16 ans. Parmi ses condisciples, Thierry Maulnier, Roger Vailland, Henri Queffélec, Paul Guth. Un professeur, André Bellessort, qui affiche des opinions antirépublicaines, aura une grande influence sur ces jeunes gens. Il fait partager à Robert sa passion pour les poètes de l’Antiquité, en particulier Virgile. Robert se lie avec un autre élève débarqué de Bourges, Maurice Bardèche qui deviendra son ami inséparable et, plus tard, l’époux de sa sœur.
Tout va très vite dans cette « avant-guerre » agitée. Nourri, à travers l’image idéalisée de son père et ses lectures, d’héroïsme et de sainteté, Brasillach est fasciné par l’Action française, revue nationaliste de Charles Maurras qui exalte la patrie et les « héros » morts pour elle. La voie est toute tracée pour ce lycéen passionné de littérature. Son admission à l’École normale lui donne tout loisir de lire et écrire. Sa culture est déjà prodigieuse. Ses lettres, fort nombreuses, le font apparaître sous les traits d’un jeune homme sensible, non dépourvu d’humour, épris d’absolu et de pureté, mais qui, dès qu’il aborde la politique, se montre d’une virulence il est vrai courante à l’époque dans la presse d’opinion.
Brasillach publie une biographie de Virgile en 1930 et, critique littéraire à l’Action française à 22 ans, il s’impose par son talent et acquiert déjà une notoriété certaine. Il écrit « Le Voleur d’étincelles », traduit Hamlet pour Georges Pittoëff, avant d’effectuer ses obligations militaires à Lyon.
Le développement du fascisme en Europe l’enthousiasme. Il approuve les mesures antisémites d’Hitler et dénonce les manifestations de soutien aux juifs qui ont lieu à Paris. « Ça ne nous regarde pas, écrit-il dans une lettre. Évidemment, si on les massacrait en grande masse, il y aurait une question d’humanité ».
Mais le déclic qui va provoquer l’engagement politique définitif de Brasillach se produit le 6 février 1934 lorsqu’une manifestation orchestrée par l’Action française et les Croix de feu rassemble plus de 100.000 Parisiens contre la corruption qui, après l’affaire Stavisky, éclabousse le gouvernement. La police tire. Il y a 20 morts et 1500 blessés. Pour Brasillach, la République est désormais le système à abattre. Un climat de haine s’installe en France, la droite traitant Daladier de « fusilleur » et dénonçant à tout bout de champ « le juif Blum ».
Maurice Bardèche ayant épousé Suzanne Brasillach le 12 juillet 1934, le trio part en voyage en automobile en Espagne et est victime, au retour, le 9 septembre, sur la route de Carcassonne, d’un grave accident. Bardèche sera trépané. Un roman, « L’Enfant de la nuit » et une « Histoire du cinéma » écrite avec son beau-frère donnent à Brasillach, à 25 ans, la stature d’un écrivain qui plait à la jeunesse.
Lorsque le Front populaire arrive au pouvoir en 1936, l’Action française se déchaîne contre Blum, « un homme à fusiller, mais dans le dos » selon Maurras. En Espagne, la guerre civile éclate. Brasillach soutient Franco, commence un nouveau livre, « Comme le temps passe, », donne des articles à « Je suis partout », hebdomadaire violemment antisémite animé par Pierre Gaxotte. En 1937, il en devient le rédacteur en chef, parcourt l’Espagne dévastée en 1938, écrit « Les Sept Couleurs », milite contre la guerre qui gronde et finit par éclater jusqu’à la défaite de juillet 1940.
Prisonnier en Allemagne comme tant d’autres, il est libéré au bout de quelques mois, Vichy le réclamant pour lui confier le poste de commissaire du cinéma. Il n’occupera jamais cette fonction mais, dès avril 1941, il retrouve sa place de rédacteur en chef de « Je suis partout » et va devenir à ce titre l’une des voix les plus virulentes de la collaboration. Il était sans doute dans son caractère d’aller au bout des choses jusqu’à l’insoutenable.
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Lorsque les Alliés débarquent en Normandie le 6 juin 1944, Brasillach sait que la partie est perdue mais il ne s’enfuira pas vers l’Allemagne comme tant d’autres. Il se réfugie à Sens avec sa sœur Suzanne, son beau-frère Maurice Bardèche et ses neveux. Alors que tombent des informations alarmantes concernant l’épuration dans les villes libérées, ses proches le poussent à émigrer. Il refuse : « J’ai trop vu de braves militants de partis, un peu amers à la pensée que leurs chefs s’étaient enfuis en les laissant payer pour eux ». Il décide cependant de se cacher le 18 août dans une chambre prêtée par un ami à Paris. De son refuge, il entend les combats du 25 août qui annoncent la libération de la capitale.
Le 1er septembre, Maurice Bardèche est arrêté. Quelques jours plus tard, Brasillach apprend l’arrestation de sa mère et de son beau-père. « Je voyais les miens, les uns après les autres, atteints faute de me trouver, et il me semblait impossible d’attendre plus longtemps ». Le 14 septembre, il se rend à la préfecture de police et est interné au camp de Noisy-le-Sec.
Celui qui avait écrit dans Je suis partout, entre autres violentes attaques antisémites, « il faut se séparer des juifs en bloc et ne pas garder les petits », ne se dérobe pas au châtiment qui l’attend.
Pendant sa détention, Brasillach écrit « Les Frères ennemis » où il tente de montrer que « dans la Résistance ou dans la Collaboration, il avait bien pu y avoir des cœurs également purs. » Transféré à la prison de Fresnes à la mi-octobre, il retrouve quelques compagnons et se lie d’amitié avec son jeune avocat Jacques Isorni. Dans sa cellule exiguë qu’il partage avec deux autres détenus, il ne cesse d’écrire des poèmes et tente de justifier son engagement dans une « lettre à un soldat de la classe 60 ». Il prépare son procès fixé au 19 janvier.
Les condamnations à mort commencent à tomber. Celle du journaliste Georges Suarez, qui sera exécuté le 9 novembre, est un signe qui ne trompe pas Brasillach. Les intellectuels doivent payer aussi. Un autre journaliste, Paul Chack, est exécuté le 9 janvier. François Mauriac s’élève contre cette justice « à chaud » et lance un appel à la réconciliation.
Les journaux s’enflamment contre Brasillach quand approche son procès. Le magazine « Ambiance » publie en couverture une photo de l’écrivain aux côtés de Doriot en uniforme allemand. Dans une salle où des amis connus et inconnus sont venus le soutenir, il comparait devant ses juges. L’acte d’accusation lui reproche ses prises de position en tant que rédacteur en chef de Je suis partout, sa sympathie pour les soldats allemands « étalée » en particulier dans un article de septembre 43 dans lequel il dit son « envie de leur serrer la main sans motif comme à des gars de chez nous ». Ses attaques contre les communistes, son antisémitisme, ses diatribes contre les Américains, les Anglais, de Gaulle, brossent le tableau du rôle qu’a pu avoir cet intellectuel dont l’influence était grande.
Brasillach ne cherche pas à atténuer ses responsabilités. Son engagement politique a été surtout motivé, explique-t-il, par l’aide qu’il fallait apporter au million et demi de prisonniers français en Allemagne. « Je n’ai rien à regretter de l’intention qui m’a fait agir ainsi », dit-il.
Dans son réquisitoire, le commissaire du gouvernement Reboul reproche à Brasillach d’avoir tenté « d’entraîner la jeunesse, d’abord vers une politique stérile, ensuite vers l’ennemi ». « Vous vous êtes trompé, assène-t-il, autant qu’il est permis au monde de se tromper ». A ce « clerc qui a trahi », Reboul demande : « Combien de jeunes écervelés aurez-vous, par vos articles, incités à la lutte contre le maquis ? » Il requiert contre lui la peine capitale. La plaidoirie de Me Isorni demandant que le verdict soit « comme le premier signe, passionnément attendu et plus que jamais nécessaire, de la France juste et réconciliée », ne sera pas entendue. La peine de mort est prononcée. « C’est une honte ! » crie une voix. « C’est un honneur ! » s’exclame Brasillach.
Dans sa cellule de condamné à mort, Brasillach se sent proche d’André Chénier, guillotiné pour des écrits politiques aujourd’hui oubliés, mais dont la poésie reste vivante. « Ô mon frère au col dégrafé »,lance-t-il à travers les siècles à l’auteur de « La jeune Captive ». Il écrit une étude sur ce dernier, compose ses « poèmes de Fresnes » et se prépare à affronter « la mort en face ».
Plusieurs dizaines d’intellectuels dont Valéry, Mauriac, Claudel, Camus, signent une pétition pour appuyer la demande de grâce présidentielle. De Gaulle restera inflexible.
Le 6 février au matin, un convoi de six voitures conduit le condamné au fort de Montrouge. Jacque Isorni raconte : « Robert Brasillach est lié à son poteau, très droit, la tête levée et fière. Au-dessus du cache-col rouge, elle apparait toute pâle… D’une voix forte, il crie au peloton : Courage ! Et les yeux levés : Vive la France ! Le feu de salve retentit. Le haut du corps se sépare du poteau. La bouche se crispe. Le maréchal des logis se précipite et donne le coup de grâce. Le corps glisse doucement jusqu’à terre. Il est 9h38 ».
Bernard Revel
Légendes photos
Illustration du haut :
Dans la photo du groupe à gauche, on reconnait au premier plan Maurice Bardèche et, à sa droite, Robert Brasillach (tous deux avec des lunettes). Parmi les jeunes filles, la quatrième à droite est Suzanne Brasillach qui épousera Maurice Bardèche. La photo a été prise à l'Ecole Normale Supérieure.
Illustration du milieu :
En haut à gauche Maurice Bardèche et sa femme Suzanne, en 1987 à Canet-en-Roussillon. A droite, Brasillach posant à côté du collaborateur Doriot en uniforme allemand.
Sources : "Intelligence avec l'ennemi" d'Alice Kaplan (Gallimard 2001)
"Robert Brasillach et la génération perdue", (Cahiers du Rocher, 1987)